« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

L’ANCÊ­TRE DES GRIOTS

 

 




 

     ­Deux frè­res étaient en voyage. Un jour qu’ils tra­ver­saient un désert dépourvu d’eau, la soif prit le plus jeune des deux. Et il avait aussi grand-faim.

     Il dit a son aîné : « J’ai faim et soif à tel point que je ne peux plus con­ti­nuer à mar­cher. Pour­suis ta route et me laisse mou­rir ici. »

     L’aîné s’éloi­gne sans lui répon­dre. Il va se dis­si­mu­ler der­rière un pal­mier. Là, il tire son cou­teau, se taille dans la cuisse un mor­ceau de chair. Puis il bat le bri­quet, allume le feu et fait rôtir ce mor­ceau qu’il porte à son frère. Celui-ci dévore avi­de­ment ce que lui apporte son aîné, sans même son­ger à lui deman­der où il s’est pro­curé cette viande.

     ­Quand il a ter­miné son repas, il aper­çoit des taches de sang sur la jambe de son frère et il l’inter­roge à ce sujet. L’aîné ajourne l’expli­ca­tion deman­dée, pro­met­tant de le ren­sei­gner au pre­mier vil­lage qu’ils attein­draient.

     ­Si­tôt qu’ils sont par­ve­nus à ce vil­lage, le cadet dit à son frère : « À pré­sent ren­sei­gne-moi, comme tu me l’as pro­mis, sur ce qui a causé les taches de sang que j’ai vues sur ta jambe.

     — Ce sang, répond l’aîné, a coulé de ma cuisse où j’ai coupé le mor­ceau de chair que je t’ai donné à man­ger.»

     — Tu m’as nourri de ta chair, reprend le cadet, et si je n’avais pas vu le sang qui tachait ta jambe je n’aurais rien soup­çonné de ton dévoue­ment pour moi.

Aussi, désor­mais, m’appel­le­rai-je "Diéli". Je serai sous ton pou­voir et mes des­cen­dants obéi­ront aux tiens ! »

     Le cadet fut le père des griots, qui por­tent en effet ce nom de « diéli », adopté par leur ancê­tre.


 

Blaise Cen­drars / Antho­lo­gie négre