« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Un jour de nuit tor­due

 

 

 

 

 

Je veux du vin

les cailloux dans ma tête ne se trans­for­me­ront pas en pain.

Aujourd’hui c’est mon anni­ver­saire cin­quante-six ans et tout ce que je pos­sède c’est une poche vide.

Ma vieille figure de poi­vrot est toute véro­lée et bala­frée.

Je trem­ble mécham­ment de tous mes mem­bres dans cette fou­tue brise gla­ciale.

Ai voyagé loin avec une cen­taine de gui­ta­res

la petite musi­que dans mon crâne vacille et s’éteint.

Me suis traîné sur une béquille sur plus de dix mille kilo­mè­tres

à cher­cher des sou­ri­res

à fre­don­ner des mélo­dies

pâtée pour chien cou­teaux de cui­sine néon éblouis­sant dans le fau­teuil d’un coif­feur.

Mes gos­ses sur la route depuis très long­temps et ma femme com­plè­te­ment déran­gée depuis tant d’années.

Le bleu du ciel c’est à tra­vers des picra­tes rouge sang que je l’ai regardé

désir vam­pire vivant ma vie

avec le Christ.

La mort m’a pour­chassé ici et là.

La vie en moi s’éteint vite.

Faut que je me colle à la route la route la route

tirer sur mon mégot

c’est tou­jours trop long quand je suis parti parti parti

Aujourd’hui c’est mon anni­ver­saire et le blé ne va pas pous­ser dans ma tête

je veux du vin

du vin

du vin









 

Jack Miche­line (1929 - 1998) / Un fleuve de vin rouge
éd. Sta­tion Under­ground d’Emer­veille­ment Lit­té­raire