« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Le cœur précipité, sur la route vide

 

 

 

 

 

IV

 

 

Une autre fois.

Il faisait nuit encore. De l'eau glissait

Silencieusement sur le sol noir,

Et je savais que je n'aurais pour tâche

Que de me souvenir, et je riais,

Je me penchais, je prenais dans la boue

Une brassée de branches et de feuilles,

J'en soulevais la masse, qui ruisselait

Dans mes bras resserrés contre mon cœur.

Que faire de ce bois où de tant d'absence

Montait pourtant le bruit de la couleur,

Peu importe, j'allais en hâte, à la recherche

D'au moins quelque hangar, sous cette charge

De branches qui avaient de toutes part

Des angles, des élancements, des pointes, des cris.

 

Et des voix, qui jetaient des ombres sur la route,

Ou m'appelaient, et je me retournais,

Le cœur précipité sur la route vide.

 

 













 

Yves Bonnefoy / Les planches courbes / La maison natale