Je porte déjà ta couleur
Par domcorrieras, le jeudi 1 novembre 2007 - Proses & autres textes - lien permanent
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Au milieu de mon délire, je vis apparaître des femmes qui couraient les cheveux épars, et me disaient : Tu mourras ! Puis après, il s’en montra d’autres avec des visages horribles, qui me criaient : Tu es mort ! Alors, dans le trouble de mon esprit, je ne sentis plus où j’étais. Il me sembla que des femmes échevelées marchaient en pleurant ; je crus voir le soleil s’obscurcir, à ce point que l’on voyait les étoiles si pâles que l’on eût dit qu’elles pleuraient les morts ; les oiseaux frappés dans l’air tombaient, et, au milieu du bruit causé par des tremblements de terre, tout épouvanté, je crus voir venir à moi un ami qui me dit : « Ton admirable Dame est sortie de ce siècle ! » Alors je commençais à pleurer non-seulement dans mon imagination, mais avec mes yeux, les baignant de véritables larmes. Puis je regardai vers le ciel, et il me sembla voir une multitude d’anges qui se dirigeaient en chœur vers la voûte céleste, conduits par une légère vapeur d’une blancheur éclatante. Je crus entendre ces anges qui chantaient glorieusement, et les paroles qu’ils chantaient me parurent être celles-ci : Hosanna in exelsis ! et je n’entendais rien autre chose. Alors il me parut que mon cœur où il y avait tant d’amour me dit : « Il est certain que notre Dame est morte ; » et je crus marcher pour aller voir le corps de cette âme noble et bienheureuse. Mon imagination était tellement frappée, que je crus la voir morte en effet, et que des dames couvraient sa tête d’un voile blanc. Sa figure était si calme et si modeste, qu’elle semblait dire : « Maintenant j’en suis venue à voir le principe de la paix. » En l’apercevant, je me sentis pénétré d’une telle humilité, que j’appelais la Mort, lui disant : « Viens à moi, car je te désire ardemment, et tu vois que je porte déjà ta couleur ! »
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Dante Alighieri / La vie nouvelle (extrait)