« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

Je porte déjà ta couleur

 

 

 

 

 

 

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    Au milieu de mon délire, je vis appa­raî­tre des fem­mes qui cou­raient les che­veux épars, et me disaient : Tu mour­ras ! Puis après, il s’en mon­tra d’autres avec des visa­ges hor­ri­bles, qui me criaient : Tu es mort ! Alors, dans le trou­ble de mon esprit, je ne sen­tis plus où j’étais. Il me sem­bla que des fem­mes éche­ve­lées mar­chaient en pleu­rant ; je crus voir le soleil s’obs­cur­cir, à ce point que l’on voyait les étoi­les si pâles que l’on eût dit qu’elles pleu­raient les morts ; les oiseaux frap­pés dans l’air tom­baient, et, au milieu du bruit causé par des trem­ble­ments de terre, tout épou­vanté, je crus voir venir à moi un ami qui me dit : « Ton admi­ra­ble Dame est sor­tie de ce siè­cle ! » Alors je com­men­çais à pleu­rer non-seu­le­ment dans mon ima­gi­na­tion, mais avec mes yeux, les bai­gnant de véri­ta­bles lar­mes. Puis je regar­dai vers le ciel, et il me sem­bla voir une mul­ti­tude d’anges qui se diri­geaient en chœur vers la voûte céleste, con­duits par une légère vapeur d’une blan­cheur écla­tante. Je crus enten­dre ces anges qui chan­taient glo­rieu­se­ment, et les paro­les qu’ils chan­taient me paru­rent être cel­les-ci : Hosanna in exel­sis ! et je n’enten­dais rien autre chose. Alors il me parut que mon cœur où il y avait tant d’amour me dit : « Il est cer­tain que notre Dame est morte ; » et je crus mar­cher pour aller voir le corps de cette âme noble et bien­heu­reuse. Mon ima­gi­na­tion était tel­le­ment frap­pée, que je crus la voir morte en effet, et que des dames cou­vraient sa tête d’un voile blanc. Sa figure était si calme et si modeste, qu’elle sem­blait dire : « Main­te­nant j’en suis venue à voir le prin­cipe de la paix. » En l’aper­ce­vant, je me sen­tis péné­tré d’une telle humi­lité, que j’appe­lais la Mort, lui disant : « Viens à moi, car je te désire ardem­ment, et tu vois que je porte déjà ta cou­leur ! »

 

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Dante Ali­ghieri / La vie nou­velle (extrait)