« Il n'y a pas de plus grand poète.
Il y a la poésie. »

Paul Fort (Canzone du vrai de vrai / Portraits sur le sable)

abolir la mémoire

 

 

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     A l’épo­que, j’étais un type pour­suivi par la nos­tal­gie. Je l’avais été depuis tou­jours et je ne savais pas com­ment me débar­ras­ser de mes sou­ve­nirs pour vivre enfin tran­quille­ment.

     Je n’ai pas encore appris. Et je doute que j’apprenne un jour. Mais j’ai com­pris au moins une chose : on ne peut pas se débar­ras­ser de la nos­tal­gie, parce qu’on ne peut pas se débar­ras­ser de la mémoire. On ne peut pas tirer un trait sur ce qu’on a aimé, c’est impos­si­ble. Ça vous reste à jamais. Vous dési­rez sans cesse revi­vre les bons moments, tout comme oublier et détruire le sou­ve­nir des mau­vais. Effa­cer les sale­tés que vous avez com­mi­ses, abo­lir la mémoire des per­son­nes qui vous ont fait du mal, reje­ter les cha­grins et les pério­des de tris­tesse.

     La nos­tal­gie fait donc tota­le­ment par­tie de la con­di­tion humaine et la seule solu­tion est d’appren­dre à vivre avec. Et peut-être, par chance, ces­sera-t-elle d’être quel­que chose de triste et de dépri­mant pour deve­nir une petite étin­celle qui nous fait redé­mar­rer, nous pousse à nous con­sa­crer à un nou­vel amour, à une nou­velle ville, à une nou­velle épo­que. Meilleurs ou pires, on n’en sait rien et peu importe. Dif­fé­rents, c’est sûr. Et c’est ça que nous cher­chons tous, jour après jour : ne pas gas­piller notre vie dans la soli­tude, ren­con­trer quelqu’un, nous enga­ger un peu, fuir la rou­tine, goû­ter notre petite part de fête. 

 

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Pedro Juan Gutiér­rez / Tri­lo­gie sale de La Havane