Le Bordel des poètes2024-03-28T09:44:40+01:00Dom Corrierasurn:md5:962ce3df297678cdb7de1ccf0bda1031DotclearTOUJOURS RECOMMENCER - SENSA RELAMBIurn:md5:136e0e446a96d81692240f759a6323df2024-03-28T07:30:00+01:002024-03-28T07:31:29+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsRoland Pécout<h4><em>Roland Pécout</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<h3 style="text-align: center;"><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/01_pecoutroland.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.01_pecoutroland_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></h3>
<p> </p>
<h3 style="text-align: center;"> </h3>
<h3 style="text-align: center;"><em><strong>TOUJOURS RECOMMENCER</strong></em></h3>
<p><em>Tu démêleras l'écheveau<br />
Du fil des Raisons qui te blessent<br />
Comme si tu tirais les boyaux<br />
D'un grand poisson aux mers d'Ithaque.</em></p>
<p><em>Reine d'Egypte, déchire le rideau<br />
Des montagnes, au Port de L'Estaque.<br />
Je t'entends, à travers les peaux<br />
De l'Œuf du Temps qui se détache</em></p>
<p><em>Toujours nouveau. La Terre boit<br />
L'eau de cette noria secrète.<br />
L'Aigle-nuit guette le menteur<br />
Du troupeau des pensées. Il le traque</em></p>
<p><em>Pour le dévorer dans son ciel,<br />
Et il met le Savoir dans un sac.<br />
Humains du jour, envols d'oiseaux,<br />
Délivrez les routes nomades.</em></p>
<p style="text-align: center;"><br />
<em>En Hommage à Jòrgi Reboul</em></p>
<p style="text-align: center;"><br />
…………………………………</p>
<h3 style="text-align: center;"><strong>SENSA RELAMBI</strong></h3>
<p>Desembulhar lo cabedèu<br />
dau fiu dei Rasons que te maca<br />
tau despleguèsses lei budèus<br />
d'un peis gigant dei mars d'Itaca.</p>
<p>Reina Egipciana, estraça un veu<br />
De serres au Pòrt de l'Estaca.<br />
T'ausi charrar tras lei cruvèus<br />
De l'Uòu dau Temps que se destaca.</p>
<p>De-lònga nòu. La Terra beu<br />
A son escreta posa-raca<br />
L'Aigla-nuech gaita lo Simbèu<br />
Dau tropèu dei pensars : l'estaca</p>
<p>Per lo devrir dins sn cèu,<br />
E lei saupres, se leis ensaca.<br />
Umans dau jorn, envòus d'aucèus,<br />
Delargatz de rotas caracas.</p>
<p style="text-align: center;"><br />
<em>En biais d'omenatge a Jòrgi Reboul</em></p>
<p> </p>
<p class="box180">Roland Pécout / Laissarem degun : Cantas-poèmes</p>COMPLAINTE DE LA BONNE DÉFUNTEurn:md5:fd36326a1cec783382986c0e281c08a62024-03-27T07:36:00+01:002024-03-27T07:36:36+01:00domcorrierasPoèmes & chansons<h4><em>Jules Laforgue</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/jules-laforgue-1860-1887-03.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.jules-laforgue-1860-1887-03_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>Elle fuyait par l'avenue,<br />
Je la suivis illuminé,<br />
Ses yeux disaient : « J'ai deviné<br />
Hélas ! que tu m'as reconnue ! »</p>
<p>Je la suivais illuminé !<br />
Yeux désolés, bouche ingénue,<br />
Pourquoi l'avais-je reconnue,<br />
Elle, loyal rêve mort-né ?</p>
<p>Yeux trop mûrs, mais bouche ingénue ;<br />
Œillet blanc, d'azur trop veiné ;<br />
Oh ! oui, rien qu'un rêve mort-né,<br />
Car défunte elle est devenue.</p>
<p>Gis, œillet, d'azur trop veiné,<br />
La vie humaine continue<br />
Sans toi, défunte devenue.<br />
— Oh ! je rentrerai sans dîner !</p>
<p>Vrai, je ne l'ai jamais connue.</p>
<p class="box180">Jules Laforgue / Les Complaintes</p>A - CELUI QUI DORT EN CHIEN DE FAÏENCEurn:md5:ebff20d7d75b61584871e1b9fe2740742024-03-26T07:23:00+01:002024-03-26T07:23:44+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsAnnie Le Brun<h4><em>Annie Le Brun</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/b0180a9_997985152-le-brun-annie-2021-110311pc5b.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.b0180a9_997985152-le-brun-annie-2021-110311pc5b_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>Indifférence musquée<br />
Calfeutrée d'errances ondulées<br />
Lèpre tamisée<br />
Déférence sommaire<br />
Articulations bouffies de mutisme<br />
Et d'eau sale<br />
Quand le soleil s'affale en flaques d'ennui<br />
Entre les boutons-pression des kiosques<br />
Une somnolence baleinée de haine<br />
Dans le crin insulaire<br />
Des après-midis suspendus.</p>
<p class="box180">Annie Le Brun / Ombre pour ombre<br />
Photo : Annie Le Brun, chez elle, à Paris, en février. RICHARD DUMAS/ VU POUR « LE MONDE »</p>La motocycletteurn:md5:df0493ded7150e24230d82be7737e5cb2024-03-25T07:25:00+01:002024-03-25T07:25:48+01:00domcorrierasProses & autres textesAndré Pieyre de Mandiargues<h4><em>André Pieyre de Mandiargues</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p style="text-align: justify;"><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/The-girl-on-the-motorcycle-1968.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.The-girl-on-the-motorcycle-1968_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"> Maintenant que les cris d’oiseaux se sont tus, et qu’il faut faire attention à conduire prudemment la motocyclette, car un cycliste pourrait déboucher comme un fou à cette heure où les rues n’ont pas de circulation, Rébecca Nul se détache peu à peu du rêve avec lequel son départ est si étroitement lié qu’il se distingue à peine des choses de la nuit. Ainsi allait son rêve, ou du moins ce qu’elle se rappelle encore : elle se trouvait portée par l’une des hautes branches d’un arbre très haut, sous un ciel inégalement sombre, comme si le soleil n’arrivait pas à percer les nuages, et elle avait conscience d’avoir été mise là pour figurer la fleur de l’arbre et pour offrir son épanouissement au soleil quand les rayons triompheraient du brouillard. Des oiseaux volaient autour d’elle, plongeaient et remontaient; d’autres étaient perchés à portée de ses mains. Plus bas, un homme qui dans le rêve était son mari, Raymond, mais qui ne lui ressemblait pas, grand, maigre et dégingandé tandis que le véritable Raymond est un peu courtaud, s’avançait avec des manières de chat sur l’une des maîtresses branches, et dans son allure il y avait une menace assez notable. Alors elle avait fait un violent effort pour se dégager du règne végétal et pour reprendre la faculté de se mouvoir, la capacité de donner l’alarme. Avec une émotion intense, elle s'était entendue prononcer les mots « pilleur de nid », cependant que se déchirait brusquement le tissu de son rêve, et qu’elle se retrouvait au lit, toute raide et la gorge serrée, à côté de Raymond qui avait grommelé comme en réponse et s'était tourné vers elle sans cesser de dormir. Pourtant un bruit de volière entrait dans la chambre, car la fenêtre n’était pas fermée, c'était l’aube, et plus de cent oiseaux chantaient à plein gosier dans le jardin. La petite maison qu'avait louée Raymond Nul était bâtie en dehors de Haguenau, sur la route de Bitche, non loin de la forêt.<br />
Entourée de ces divers chants et de piaillements qu’elle n’écoutait pas mais qui retombaient sur elle comme des gouttes d’eau, tandis que s’effilochaient les images du rêve, Rébecca pendant quelques minutes avait gardé une immobilité complète, et si Raymond s'était réveillé alors et l’avait embrassée, elle serait restée au lit, sans doute, et se fût rendormie plus tard. Elle avait attendu, sentant sa respiration sur son épaule, entendant un léger ronflement. Puis elle avait eu la certitude qu’il ne se réveillerait pas et qu’elle ne retrouverait pas le sommeil. Au lieu de le réveiller, comme elle aurait pu faire, elle s’était abandonnée à des pensées d’espace et de grand air qui provenaient du songe autant que du chant des oiseaux, et ces pensées avaient pris un chemin qu’elle connaissait pour s’y être déjà laissé entraîner plus d’une fois. Ses mains avaient remué premièrement, et elles lui avaient rendu le sentiment de son corps en se portant sur ses petits seins, en caressant son ventre avec amitié, en parcourant tout le beau domaine lisse dont il lui semblait qu’elle s’était retirée pour se concentrer uniquement dans sa tête. « Je ne me hais pas », avait-elle pensé encore. Contrairement aux habitudes de son mari, qui même au mois d'août reposait dans un pyjama complet, Rébecca ne pouvait souffrir sur elle le moindre vêtement de nuit, elle ne pouvait dormir dans une chambre à la fenêtre fermée, et elle couchait nue, sous plusieurs couvertures au besoin et sous un édredon épais qu’elle tirait jusqu’à son cou pendant l’hiver.<br />
Par les fentes des volets, la chambre recevait un jour pâle qui était ainsi que la couleur du froid et qui décourageait de quitter le chaud abri des couvertures. Rébecca, malgré tout ce qui aurait dû la retenir au lit, s'était glissée hors des draps, non pas vite, comme on penserait qu’elle eût fait, mais lentement, et dans la chambre (assez fraîche en vérité pour un matin de mai) elle était restée debout sans bouger pendant un petit moment, comme pour mettre sa volonté à l'épreuve. Ensuite, pour ne point faire de bruit, elle n’avait ouvert ni l’armoire ni la commode où était rangé son linge, elle avait négligé de prendre ses vêtements sur la chaise, et directement elle était allée dans la salle d’eau, qui communiquait avec la chambre et avec le vestibule. Là, après avoir refermé la porte, puisque Raymond ne s'était toujours pas réveillé, elle s’était sentie dans un air libre selon son désir, elle avait eu la certitude que rien ne viendrait faire obstacle à son projet. Mais elle n’avait pas touché aux robinets de la douche ni à ceux du lavabo, ni au bouton d'éclairage, elle n’avait pris aucun soin de son corps, elle avait méprisé de peigner ses cheveux coupés aussi court que sur la tête d’un garçon, elle n'avait pas lavé ses dents, elle n’avait pas fardé ses lèvres, elle ne s’était pas regardée dans le miroir. Sa seule action avait été de retirer de la corbeille à linge sale une petite culotte de nylon crème qu’elle y avait jetée la veille, et de la mettre. Tant pis pour les pantoufles qui auraient protégé ses pieds contre le froid du carrelage, puisqu'elles étaient restées près du lit. Leur absence n'aurait pas empêché Rébecca de marcher sur la surface d’une rivière gelée, si quelque chose (ou quelqu'un) l’avait attirée fortement sur l’autre rive, car, de son propre avis, son caractère ressemblait à celui que l’on attribue aux chèvres, soumis à l’humeur, impulsif et têtu fanatiquement. Il ne s'agissait, d’ailleurs, que de passer dans le vestibule, où était son costume de motocycliste.<br />
Avec des précautions, car la porte criait (mais le chant des oiseaux aurait couvert un bruit plus fort), elle avait tourné la poignée, ouvert, refermé derrière elle. Alors il n’avait plus été nécessaire d’être tant silencieuse. Derrière chaque porte, en effet, se trouvait une pièce vide, la salle d’eau d’un côté, de l’autre le salon (salle à manger aussi}, et le risque n’était plus de réveiller Raymond, mais qu’il se réveillât tout seul si elle avait lambiné. Une armoire contenait des manteaux, des imperméables, en nombre moins grand pour l’homme que pour la femme, comme il est ordinaire, et Rébecca avait déplacé sa garde-robe pour prendre dans un coin le seul vêtement qui eût le pouvoir de faire battre son cœur plus vite et de lui donner des pensées d’orgueil, celui qu’elle n’endossait jamais sans une sorte d’exaltation, celui que Raymond regardait toujours avec tristesse et méfiance. C'était une combinaison de cuir noir, très brillant et doublé de fourrure blanche, qui fermait étroitement au cou, aux poignets et aux chevilles par le moyen de petites courroies. Rébecca l’avait largement ouverte (ce qui lui donnait l’air de la dépouille d’une grande bête à l'instant écorchée), puis, les jambes d’abord, elle s’y était introduite, toute nue sauf la culotte de nylon un peu transparente sur le triangle du poil, et en tirant de bas en haut la languette de la fermeture éclair elle avait clos le sombre étui sur son corps naturellement brun. « Rien n’est aussi doux que cela », s’était-elle dit, avec quelque naïveté car ce n’était que du lapin et elle n’avait pas eu l’occasion de se frotter à de la martre ou à de la zibeline, tandis que le sang lui montait à la tête à cause de la chaleur et d’un léger chatouillement qu’elle sentait sur toute l’étendue de sa peau. « Mon corps est comme un violon dans une boîte capitonnée », avait-elle pensé encore, se rappelant que son mari l’avait comparée à un instrument de la sorte, la première fois qu’il l’avait découverte. Son amant n’avait jamais rien dit de pareil. Raymond, lui, était souvent ridicule par la banalité de ses compliments, mais Rébecca s'était plu à celui-là, et elle n’avait pas besoin d’une glace pour savoir que sa nudité s’apparentait à des feuilles ramassées dans le sous-bois en automne. Tout en se flattant d’analogies, la jeune femme avait chaussé ses pieds de bottillons aussi<br />
chaudement fourrés que la combinaison, noirs également, et elle avait glissé les tiges à l’intérieur avant de boucler les courroies des chevilles. Sans bas ni socquettes, car l’armoire du vestibule n’offrait rien de semblable. Elle avait mis de grosses lunettes à verres bombés dans une monture de caoutchouc. Enfin, pour achever ce qu’elle nommait avec une certaine exactitude sa toilette de coureuse, elle avait pris une cagoule (comme disait le vendeur de la bonneterie de Genève où elle l’avait achetée) à peine plus noire que ses cheveux et qui était ainsi que le négatif du loup car elle ne laissait paraître du visage que ce qui est normalement caché par le masque; elle avait bouclé le col de la combinaison dessus, elle avait bouclé les poignets. De souples gants noirs avaient couvert ses mains. D'un trousseau de clés accroché au mur, Rébecca s'était servie pour ouvrir la porte, puis elle avait ouvert une petite remise attenant le pavillon, et elle était allée ouvrir la barrière du jardin. Ensuite elle avait remis les clés à leur place et elle avait repoussé la porte. Des oiseaux s'étaient envolés sur son passage, vrillant l’air avec un bruit de projectiles. D’autres, plus loin, chantaient sans s’émouvoir.<br />
Dans la remise, à côté du vélo qui servait à Raymond pour aller au lycée (et ses élèves se moquaient de lui, elle les avait vus, quand il enfourchait la vieille bécane à guidon haut, plaçant sa serviette à cheval sur le cadre rouillé), il y avait la motocyclette de Rébecca. Une grosse Harley-Davidson du modèle le plus récent et le plus rapide, toute neuve, peinte en noir sauf les parties chromées, dont la plus éclatante était le tuyau d'échappement avec ses tubulures souples. Posséder une pareille machine, sans rivale assurément dans la catégorie, n’était pas un bonheur commun pour une jeune personne de dix-neuf ans, et Rébecca s’émerveillait chaque fois qu’elle allait dans la remise observer sa monture (comme une nouvelle mariée qui n’en croit pas ses yeux d’être en possession d’époux); elle avait appris les particularités de son bien; elle se les disait toute seule, elle aurait pu les répéter dans l’ordre de la notice, et si elle n’avait pas manqué d’amies, arrivée depuis peu à Haguenau, par malchance, elle se fût vantée perpétuellement des deux cylindres du moteur, de sa cylindrée totale de mille deux cents centimètres cubes, de sa puissance approchant soixante chevaux au frein. Elle eût été la plus ennuyeuse des femmes, sans doute, à cause d’une tendance à la pédanterie que Raymond supportait sans se plaindre, mais qu’il lui avait fait remarquer quelquefois. Bah, il était bien question de Raymond ou d’amies éventuelles! Quand elle était devant la moto, sous le toit du petit garage, elle se trouvait dans un espace différent de l’ordinaire, elle pensait à l’état de franchise insolite qu’à l’égard de son mari lui procuraient les roues garnies de gros pneus à flancs blancs, ou à l’état de servitude non moins inaccoutumée dans lequel elles la tenaient vis-à-vis d’un autre homme, et toutes ses connaissances techniques ne l’empêchaient pas de flatter de la main, souvent, comme on fait au poitrail d’un animal, le projecteur caréné sur la fourche, en avant du guidon, et de murmurer comme une amante au lit : « Jusqu’où<br />
m’emporteras-tu, taureau noir ? »</p>
<p style="text-align: justify;">… / …</p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p class="box180">André Pieyre de Mandiargues / La motocyclette - 1er chapitre (extrait)</p>Ces deux femmes me regardaienturn:md5:209b834157021838dd244ab1e8012cb42024-03-24T07:39:00+01:002024-03-24T07:39:32+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsGeorges Perros<h4><em>Georges Perros</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/MjAyMDA3MTQ0MDM3NDQwZmMwMzA0ODk5Yzg5YTRiY2FmMWMyMzU.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.MjAyMDA3MTQ0MDM3NDQwZmMwMzA0ODk5Yzg5YTRiY2FmMWMyMzU_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>Ces deux femmes me regardaient<br />
puis riaient entre elles vraiment<br />
comme deux folles me disais-je<br />
la plus blonde alors demanda<br />
des allumettes au patron<br />
et je ne saurai jamais quoi<br />
me fit prendre ma boîte et hop<br />
lui lancer Et merci monsieur<br />
Voilà parfois comme s'engagent<br />
les plus fines conversations<br />
C'était fait nous nous connaissions<br />
et bonjour et bonsoir venez<br />
donc nous rendre bientôt visite<br />
je vous présenterai un homme<br />
et mes enfants. et c'est ainsi<br />
que de gros fil en fine aiguille<br />
les années passèrent allant<br />
à la rencontre du mystère<br />
que l'amitié nous réservait<br />
sans découvrir la moindre dent.</p>
<p>Un soir que chez d'autres amis<br />
nous étions allés tous les deux<br />
à l'arrière d'une voiture<br />
qui nous ramenait à Meudon<br />
elle reposa son visage<br />
sur mon épaule, fatiguée<br />
Geste étrange jamais permis<br />
que je laissai faire Sa tempe<br />
était à deux doigts de mes lèvres<br />
et je la baisai comme celle<br />
d'un enfant qui va s'endormir<br />
C'était réveiller le tonnerre<br />
car nous n'étions plus des enfants<br />
Et dès lors je l'encourageai<br />
à rompre et à donner un sens<br />
qu'il nous faudrait alimenter<br />
à ce geste tendre Voilà<br />
ce qui après cent aventures<br />
fait raison de notre aujourd'hui<br />
et de ces enfants que nous eûmes<br />
Chère Tania qu'en penses-tu ?</p>
<p>Son homme ils n'étaient pas mariés<br />
ayant seulement reconnu<br />
les enfants blonds qu'ils avaient eus<br />
m'aimait bien. Certes j'étais seul<br />
à le venir voir et parler<br />
avec lui de son grand pays<br />
la Russie Il avait laissé<br />
là-bas une femme et un gosse<br />
dont il me montrait la photo<br />
désertant pour finir en France<br />
ou bien plutôt recommencer<br />
Mais j'avais embrassé sa femme<br />
sur la tempe et je ne pouvais<br />
quoique ayant fait pire à bien d'autres<br />
dont le mari m'indifférait<br />
non je ne pouvais le trahir<br />
Je crus longtemps qu'il nous tuerait<br />
Il m'a déçu de ne pas faire<br />
je ne sais quel geste fou<br />
comme il devint il eût été<br />
normal qu'il fit Enfin tant mieux<br />
Six ans ont passé là-dessus<br />
et ce n'est point remords qui dure<br />
plutôt regret de n'avoir pu<br />
au mieux des quatre individus<br />
garçons fille homme qui se ronge<br />
pour avoir reçu certain soir<br />
le bourreau de sa triste histoire<br />
n'avoir pu éviter la guerre<br />
Mais ce sont là vains commentaires<br />
Vivre est cruel à moins d'aider<br />
les pouces à tourner leurs dés<br />
dans les secrets de la paresse<br />
qui fait l'adultère et le reste<br />
Cette femme que j'enlevai<br />
je lui ai donné ce qu'un homme<br />
peut offrir d'amour Nous avons<br />
sans doute en nous beaucoup de vies<br />
laquelle est la bonne je suis<br />
incompétent en la matière<br />
Enfin reste que l'on vieillit<br />
que notre corps quitte les jeux<br />
d'autres s'y crèveront les yeux<br />
ainsi de suite Cimetière<br />
tu seras en fin de partie<br />
comme dit le noble Beckett<br />
notre juste lopin de terre<br />
C'est bien ce que nous méritons<br />
n'étant qu'à peine responsables<br />
du bien qu'un peu nous aurons fait<br />
Mais l'on se calomnie exprès<br />
Les plus purs sont des virtuoses<br />
du mal à dire de soi-même<br />
(Ce n'est pas de moi qu'il s'agit)</p>
<p class="box180">Georges Perros / Une vie ordinaire</p>chanson ratée (11)urn:md5:c23f65dfa55436b8003e604080033c5d2024-03-23T07:10:00+01:002024-03-23T07:10:51+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsHeptanes Fraxion<h4><em>Heptanes Fraxion</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/75199823_3209908452384294_3787090879286607872-MODIF.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.75199823_3209908452384294_3787090879286607872-MODIF_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>il neige sur les cerisiers en fleurs<br />
il neige la plus neuve des neiges<br />
je rêve mais je suis bien réveillé</p>
<p>ils ne sont pas assez assassinés les politiciens qui inventent de nouvelles guerres</p>
<p>brigadiers et brigands sous un maillot différent font parfois partie de la même équipe</p>
<p>les filles hélas finissent toutes par se ressembler</p>
<p>il neige sur les cerisiers en fleurs<br />
il neige la plus neuve des neiges<br />
il faut vite que je redevienne important à moi-même</p>
<p class="box180">Heptanes Fraxion</p>Que la vallée est fraîche maintenanturn:md5:47ca370218e26b236bf0b61eea9828592024-03-22T07:20:00+01:002024-03-22T07:20:49+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsJames Joyce<h4><em>James Joyce</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<h3 style="text-align: center;"><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/mw03533.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.mw03533_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></h3>
<p> </p>
<h3 style="text-align: center;"> </h3>
<h3 style="text-align: center;">XXII</h3>
<p> </p>
<p>Que la vallée est fraîche maintenant,<br />
Et c'est là que nous irons, mon amour,<br />
Car plus d'un chœur chantent là maintenant<br />
Dans ce lieu où parfois venait Amour.<br />
N'entends-tu pas les grives appeler,<br />
Nous inviter au loin mon doux amour ?<br />
Fraîche et plaisante est toute la vallée<br />
Et c'est là que sera notre séjour.</p>
<p style="text-align: center;"><br />
…………….</p>
<p><br />
<em>O cool is the valley now<br />
And there, love, will go<br />
For many a choir is singing now<br />
Where Love did sometime to go.<br />
And hear you not the thrushes calling,<br />
Calling us away ?<br />
O cool and pleasant is the valley<br />
And there, love, will we stay.</em></p>
<p> </p>
<p class="box180">James Joyce / musique de chambre<br />
Illustration : James Joyce by Jacques-Emile Blanche</p>Au milieu du champ de bataille chevauche le comte Rolandurn:md5:f226c23ad2d4aaf438bb6b42dd6b53632024-03-21T07:22:00+01:002024-03-21T07:22:41+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsTurold de Préaux<h4><em>Turold de Préaux</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/Chanson-Roland.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.Chanson-Roland_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>… / …</p>
<h3 style="text-align: center;">CV</h3>
<p>Au milieu du champ de bataille chevauche le comte Roland,<br />
Sa Durandal au poing, qui tranche et bien taille,<br />
Et qui fait grande tuerie des Sarrasins.<br />
Ah ! si vous aviez vu Roland jeter un mort sur un autre mort,<br />
Et le sang tut clair inondant le sol !<br />
Roland est rouge de sang ; rouge est son haubert, rouges sont ses bras,<br />
Rouges sont les épaules et le cou de son cheval.<br />
Pour Olivier, il ne se met pas en retard de frapper.<br />
Les douze Pairs aussi ne méritent aucun blâme ;<br />
Tous les Français frappent, tous les Français massacrent.<br />
Et les païens de mourir ou se pâmer :<br />
« Vivent nos barons ! dit alors l'Archevèque :<br />
« Montjoie ! crie-t-il, Montjoie ! » C'est le cri de Charles.</p>
<h3 style="text-align: center;">CVI</h3>
<p>Parmi la bataille chevauche Olivier ;<br />
Le bois de sa lance est brisé, il n'en a plus qu'un tronçon au poing.<br />
Alors il va frapper un païen, du nom de Malseron.<br />
Il lui brise l'écu qui est couvert de fleurs et d'or.<br />
Il lui jette les deux yeux hors de la tête,<br />
Et la cervelle du païen lui tombe aux pieds.<br />
Bref, il le renverse mort avec sept cents de sa race.<br />
Puis il tue Turgin et Esturgus ;<br />
Mais cette fois il brise et met en éclats sa lance jusqu'à son poing :<br />
« Que faites-vous, compagnon ? lui crie Roland,<br />
« Ce n'est pas un bâton qu'il faut en telle bataille,<br />
« Mais il n'y a de bon que le fer et l'acier.<br />
« Où donc est votre épée qui s'appelle Hauteclaire ?<br />
« Sa garde est d'or, et sa poignée de cristal.<br />
« — Je n'ai pas le temps de la tirer, répond Olivier,<br />
« Je suis trop occupé à frapper ! »</p>
<h3 style="text-align: center;">CVII</h3>
<p>Mon seigneur Olivier a tiré sa longue épée,<br />
Que lui a tant demandée son compagnon Roland,<br />
Et, en vrai chevalier, il la lui a montrée.<br />
Il en frappe un païen, Justin de Val-Ferrée,<br />
Lui coupe en deux morceaux la tête,<br />
Lui tranche le corps et le haubert brodé,<br />
Avec la bonne selle perlée d'or.<br />
Il lui tranche aussi l'échine du destrier,<br />
Et abat mort sur le pré le cheval avec le cavalier :<br />
« Ah ! désormais, s'écrie Roland, je vous regarde comme un frère.<br />
« Voilà bien les coups qui nous font aimer de l'Empereur. »<br />
Et de toutes parts on entend crier : « Montjoie ! »</p>
<p><br />
… / …</p>
<p> </p>
<p style="text-align: center;">………………………………………….</p>
<h3 style="text-align: center;"><em>CV</em></h3>
<p><em>Li quenz Rollanz par mi le camp chevalchet,<br />
Tient Durendal ki ben trenchet e taillet,<br />
Des Sarrazins lur fait mult grant damage.<br />
Ki lui véist l'un jeter mort sul' altre,<br />
Le sanc tut cler gesir par cele place !<br />
Sanglant en ad e l'osberc e la brace,<br />
Sun bon cheval le col e les espalles.<br />
E Olivers de ferir ne se target,<br />
Li .xii. Per n'en deivent aveir blasme;<br />
E li Franceis i flerent e si caplent.<br />
Moerent païen e alquant en i pasment<br />
Dist l'Arcevesques : « Ben ait nostre barnage ! »<br />
Munjoie escriet, ço est l'enseigne Carle.</em></p>
<h3 style="text-align: center;"><em>CVI</em></h3>
<p><em>E Olivers chevalchet par l'estur.<br />
sa hanste est fraite, n'en ad que un trunçun ;<br />
E vait ferir un paÎen, Malsarun.<br />
L'escut li freint ki est ad or e à flurs,<br />
Fors de la teste li met les oilz ambsdous,<br />
E la cervele li chet as piez desuz :<br />
Mort le tresturnet od tut . Vii. C. des lur.<br />
Puis, ad ocis Turgin e Esturgus ;<br />
La hanste briset e esclicet jusu'as puigus.<br />
Ço dist Rollanz : « Cumpainz, que faites vus ?<br />
« En tel bataille n'ai cure de bastun ;<br />
« Fers e acers i deit aveir valur.<br />
« U est vostre espée ki Halteclerc ad num ?<br />
« D'or est li helz e de cristal li punz.<br />
« — Ne la puis traire, Olivers li respunt,<br />
Kar de ferir oi jo si grant bosuign.</em></p>
<h3 style="text-align: center;"><em>CVII</em></h3>
<p><em>Danz Olivers trait ad sa bone espée<br />
Que sis cumpainz li ad tant demandée,<br />
E il li ad cum chevaers mustrée.<br />
Fiert un païen, Justin de Val-Ferrée ;<br />
Tute la teste li ad par mi severée,<br />
Trenchet le cors e la bronie safrée,<br />
La bone sele ki ad or est gemmée,<br />
E à l' cheval ad l'eschine trenchée :<br />
Tut abat mort devant lui en la prée.<br />
Ço dist Rollanz : « Or vos receif jo frere.<br />
« Pur itels colps nus aimet li Emperere. »<br />
De tutes parz est Munjoie escriée.</em></p>
<p><em>…. / …</em></p>
<p> </p>
<p class="box180">Anonyme (supposé Turold de Préaux) / La chanson de Roland (extrait)</p>CORONAurn:md5:f893606691a8d5f007d934c361222fda2024-03-20T07:40:00+01:002024-03-20T07:40:40+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsPaul Celan<h4><em>Paul Celan</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/e8171d4240a9fca2e83a6743b4d1438a_1024x1024.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.e8171d4240a9fca2e83a6743b4d1438a_1024x1024_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>L'automne me mange sa feuille dans la main.<br />
Nous épluchons le temps et le faisons marcher ;<br />
le temps s'en retourne dans sa coque.</p>
<p>C'est dimanche au miroir,<br />
on sommeille quand on rêve,<br />
la bouche dit la vérité.</p>
<p>Mon œil s'en va vers le sexe de l'aimée<br />
et nous nous regardons ,<br />
nous parlons d'obscur,<br />
nous nous aimons comme s'aiment pavots et mémoire,<br />
nous dormons comme vin en coquille,<br />
comme la mer dort dans la lune sanguine.</p>
<p>De la rue on nous voit enlacés au carreau :<br />
il est temps que l'on sache !<br />
Il est temps que le galet consente à fleurir,<br />
qu'un cœur batte pour l'inquiétude.<br />
Il est temps qu'il soit temps.</p>
<p>Il est temps.</p>
<p> </p>
<p class="box180">Paul Celan / Poèmes<br />
traduction Denise Naville<br />
Illustration : Paul Celan par David Levine</p>CHANSON DES TROIS ORAGESurn:md5:7d0ab40cdaf79cc4443fcbbab040c8e52024-03-19T08:00:00+01:002024-03-19T08:00:57+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsEdmond Jabès<h4><em>Edmond Jabès</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/edmond-jabecc80s-egipto-1912-1991-sonriente-primer-plano-anciano.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.edmond-jabecc80s-egipto-1912-1991-sonriente-primer-plano-anciano_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>Trois roses et trois scorpions<br />
cherchent un nid d'écume.<br />
La rose brise le nid.<br />
Le scorpion vole l'écume.</p>
<p>Trois roses et trois scorpions<br />
et peut-être une aigrette.<br />
L'aigrette épouse le vent<br />
et la rose le scorpion.</p>
<p>Trois roses et le désert.<br />
Trois scorpions et l'éclair.<br />
Voyagerons-nous toujours<br />
à dos d'air et d'océan ?</p>
<p>Trois roses et trois lunes<br />
entre ciels et seule terre.<br />
Un rideau, mais pourquoi vert ?<br />
Et combien de morts de plume.</p>
<p class="box180">Edmond Jabès / Le Seuil Le Sable - poèsies complètes 1943-1988</p>HISTOIRE COMIQUE DE LA LUNE ET DU SOLEILurn:md5:6f191e4ab2cf8d07b7151dd2cdeccb392024-03-18T07:52:00+01:002024-03-18T07:52:09+01:00domcorrierasProses & autres textes<h4><em>Cyrano de Bergerac</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p style="text-align: justify;"><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/Cyrano-de-Bergerac_8639.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.Cyrano-de-Bergerac_8639_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"> Je me suis mis à considérer attentivement mes livres, et leurs boîtes, c'est-à-dire leurs couvertures, qui me semblaient admirables pour leurs richesses ; l’une était taillée d'un seul diamant, sans comparaison plus brillant que les nôtres ; la seconde ne paraissait qu'une monstrueuse perle fendue en deux. Mon Démon avait traduit ces Livres en langage de ce monde ; mais, parce que je n’en ai point de leur imprimerie, je m'en vais expliquer la façon de ces deux volumes.</p>
<p style="text-align: justify;">A l'ouverture de la boîte, je trouvai, dans un je ne sais quoi de métal presque semblable à nos horloges, plein de je ne sais quelques petits ressorts et de machines imperceptibles. C'est un Livre, à la vérité; mais c'est un livre miraculeux, qui n’a ni feuillets ni caractères; enfin, c'est un Livre où, pour apprendre, les yeux sont inutiles : on n'a besoin que des oreilles. Quand quelqu'un donc souhaite lire, il bande, avec grande quantité de toutes sortes de petits nerfs, cette machine; puis, il tourne l'aiguille sur le chapitre qu'il désire écouter, et au même temps il en sort, comme de la bouche d'un homme, ou d’un instrument de musique, tous les sons distincts et différents qui servent. entre les grands Lunaires, à l'expression du langage.<br />
………………………………………………………………………………………………….<br />
« Apprenez aussi que, dans une région voisine du Soleil comme la nôtre, les âmes pleines de feu sont plus claires plus subtiles et plus pénétrantes que celles des autres animaux aux sphères plus éloignées. Or, puisque dans votre Monde même il s’est jadis rencontré des Prophètes qui l'esprit échauffé par un vigoureux enthousiasme, ont eu des pressentiments du futur, il n'est pas impossible que dans celui-ci, beaucoup plus proche du Soleil et, par conséquent, beaucoup plus lumineux que le vôtre, il ne vienne à un fort génie quelque odeur du passé ; que sa raison mobile ne se remue aussi bien en arrière qu'en avant, et qu'elle ne soit capable d'atteindre la cause par les effets, vu qu'elle peut arriver aux effets par la cause. »<br />
Il acheva son récit de cette sorte; mais, après une conférence encore plus particulière de secrets fort cachés qu’il me révéla, dont je veux taire une partie et dont l’autre m'est échappée de la mémoire, il me dit qu'il n’y avait pas encore trois semaines qu’une motte de terre, engrossée par le Soleil, avait accouché de lui. « Regardez bien cette tumeur ! » Alors il me fit remarquer, sur de la bourbe, je ne sais quoi d'enflé comme une taupinière : « C'est, dit-il, un apostume ou, pour mieux parler, une matrice qui recèle depuis neuf mois l'embryon d'un de mes frères. J'attends ici, à dessein de lui servir de sage-femme. »<br />
Il aurait continué s'il n'eût aperçu, à l’entour de ce gazon d'argile, le terrain qui palpitait. Cela lui fit juger, avec la grosseur du bubon, que la terre était en travail, que cette secousse était déjà l'effort des tranchées de l'accouchement. Il me quitta aussitôt pour y courir, et moi j'allai rechercher ma cabane.<br />
Je regrimpai donc sur la montagne que j'avais descendue, au sommet de laquelle je parvins avec beaucoup de lassitude. Vous pouvez croire combien je fus en peine quand je ne trouvai plus ma machine où je l’avais laissée. J'en soupirais déjà la perte quand je l’aperçus fort loin qui voltigeait. Autant que mes jambes purent fournir, j'y courus à perte d'haleine, et certes c'était un passe-temps agréable de contempler cette nouvelle façon d'aller à la chassé car, quelquefois que j'avais presque la main dessus, il survenait dans la boule de verre une légère augmentation de chaleur qui, tirant l'air avec plus de force, et cet air, devenu plus roide, enlevant ma boîte au-dessus de moi, me faisait sauter après, comme un chat au croc où il voit pendre un lièvre. Sans que ma chemise était demeurée sur le chapiteau pour s'opposer à la force des miroirs, elle eut fait le voyage toute seule.<br />
Mais à quoi bon me rafraîchir la mémoire d’une aventure dont je ne saurais me souvenir qu'avec la même douleur que je ressentis alors ? Il suffira de savoir qu'elle bondit, courut et vola tant, que je sautai, je marchai et j'arpentai tant, qu'enfin je la vis tomber au pied d’une fort haute montagne. Elle m'eût mené, possible, encore plus loin si, de cette orgueilleuse enflure de la terre, les ombres qui noircissaient le Ciel bien avant sur la plaine, n’eussent répandu tout autour une nuit de demi-lieue; car, se rencontrant parmi ces ténèbres, son verre n’en eut pas plutôt senti la fraîcheur qu'il ne s'y engendra plus de vide, plus de vent par le trou et, conséquemment, plus d'impulsion qui la soutint ; de sorte qu'elle chut, et se fut brisée en mille éclats si, par bonheur, une mare où elle tomba n'eût plié sous le faix. Je la tirai de l’eau, remis en état ce qui était froissé; puis, après l'avoir embrassée de toute ma force, je la portai sur le sommet d’un coteau qui se rencontra tout proche. Là, je développai ma chemise d'’alentour du vase, mais je ne la pus vêtir parce que, mes miroirs commençant leur effet, j'aperçus ma cabane qui frétillait déjà pour voler. Je n'eus le loisir que d'entrer vitement dedans, où je m'enfermai comme la première fois.<br />
La sphère de notre Monde ne me paraissait plus qu'un astre à peu près de la grandeur que nous paraît la Lune ; encore, il s'étrécissait, à mesure que je montais, jusqu'à devenir une étoile, puis une bluette, et puis rien, d'autant que ce point lumineux s’aiguisa si fort pour s’égaler à celui qui termine le dernier rayon de ma vue, qu'enfin elle le laissa s'unir à la couleur des Cieux. Quelqu'un peut-être s'étonnera que, pendant un si long voyage, le sommeil ne m'ait point accablé. Mais, comme le sommeil n’est produit que par la douce exhalaison des viandes qui s'évaporent de l'estomac au cerveau ou, par un besoin que sent Nature de lier notre âme, pour réparer, pendant le repos autant d'esprits que le travail en a consommés, je n'avais garde de dormir, vu que je ne mangeais pas, et que le Soleil me restituait beaucoup plus de chaleur radicale que je n’en dissipais. Cependant mon élévation continuait et, à mesure qu'elle m'approchait de ce Monde enflammé, je sentais couler dans mon sang une certaine joie qui le rectifiait et passait jusqu'à l'âme. De temps en temps, je regardais en haut pour admirer la vivacité des nuances qui rayonnaient dans mon petit dôme de cristal, et j'ai la mémoire encore présente que, comme je pointais alors mes yeux dans le bocal du vase, voici que, tout en sursaut, je sens je ne sais quoi de lourd qui s'envole de toutes les parties de mon corps. Un tourbillon de fumée fort épaisse et quasi palpable suffoqua mon verre de ténèbres ; et quand je voulus me mettre debout pour contempler ce noir dont j'étais aveuglé, je ne vis plus ni vase, ni miroirs, ni verrière, ni couverture à ma cabane. Je baissai donc la vue à dessein de regarder ce qui faisait ainsi tomber mon chef-d'œuvre en ruine mais je ne trouvai, à sa place et à celle des quatre côtés et du plancher que le Ciel tout autour de moi. Encore ce qui m'effraya davantage ce fut de sentir, comme si le vague de l'air se fut pétrifié, je ne sais quel obstacle invisible qui repoussait mes bras quand je les pensais étendre. Il me vint alors dans l'imagination qu’à force de monter j'étais sans doute arrivé dans le Firmament, que certains Philosophes et quelques Astronomes ont dit être solide. Je commençai à craindre d'y demeurer enchâssé; mais l'horreur dont me consterna la bizarrerie de cet accident s'accrut bien davantage par ceux qui succédèrent; car ma vue, qui vaguait çà et là, étant par hasard tombée sur ma poitrine, au lieu de s'arrêter à la superficie de mon corps, passa tout à travers ; puis, un moment ensuite, je m'avisai que je regardais par derrière et presque sans aucun intervalle. Comme si mon corps n'eût plus été qu’un organe de voir, je sentis ma chair qui, s'étant décrassée de son opacité, transférait les objets à mes yeux et mes yeux aux objets par chez elle. Enfin, après avoir heurté mille fois, sans la voir, la voûte, le plancher et les murs de ma chaise, je connus que, par une secrète nécessité de la lumière dans sa source, nous étions, ma cabane et moi, devenus transparents. Ce n'est pas que je ne la dusse apercevoir, quoique diaphane, puisqu'on aperçoit bien le verre, le cristal et les diamants qui le sont; mais je me figure que le Soleil, dans une région proche de lui, purge bien plus parfaitement les corps de leur opacité en arrangeant plus droits les pertuis imperceptibles de la matière que dans notre Monde où sa force, presque usée par un si long chemin, est à peine capable de transpirer son éclat aux pierres précieuses; toutefois, cause de lL'interne égalité de leurs superficies, il leur fait rejaillir au travers de leurs glaces, comme par de petits yeux, ou le vert des émeraudes, ou l'écarlate des rubis, le violet des améthystes, selon que les différents pores de la pierre, ou plus droits, ou plus sinueux, éteignent ou rallument, par la quantité des réflexions, cette lumière affaiblie. Une difficulté peut embarrasser le lecteur, à savoir comment je pouvais me voir et ne point voir ma loge, puisque j'étais devenu diaphane aussi bien qu'elle. Je réponds à cela que, sans doute, le Soleil agit autrement sur les corps qui vivent que sur les inanimés, puisque aucun endroit, ni de ma chair, ni de mes os, ni de mes entrailles, quoique transparents, n'avait perdu sa couleur naturelle, au contraire : mes poumons conservaient encore, sous un rouge incarnat, leur molle délicatesse; mon cœur, toujours vermeil, balançait aisément entre le sistole et le diastole ; mon fie semblait brûler dans un pourpre de feu et, cuisant l'air que je respirais, continuait la circulation du sang; enfin, je me voyais, me touchais, me sentais le même, et si pourtant je ne l’étais plus.<br />
Pendant que je considérais cette métamorphose, mon voyage s'accourcissait toujours, mais pour lors avec beaucoup de lenteur, à cause de la sérénité de l'éther qui se raréfiait à proportion que je m'approchais de la source du jour; car, comme la matière en cet étage est fort déliée pour le grand vide dont elle est pleine, et que cette matière est, par conséquent, fort paresseuse à cause du vide qui n’a point d'action, cet air ne pouvait produire, en passant par le trou de ma boîte, qu'un petit vent à peine capable de la soutenir.<br />
Je ne réfléchis jamais au malicieux caprice de la Fortune, qui toujours s'opposait au succès de mon entreprise avec tant d'opiniâtreté, que je m'étonne comment le cerveau ne me tourna point.<br />
………………………………………………………………………………………………….<br />
Cette terre est semblable à des flocons de neige embrasée, tant elle est lumineuse; cependant, c’est une chose assez incroyable que je n'aie jamais su comprendre, depuis que ma boîte tomba, si je montai ou si je descendis au Soleil. ll me souvient seulement, quand j'y fus arrivé, que je marchais légèrement dessus; je ne touchais le plancher que d'un point, et je roulais souvent comme une boule, sans que je me trouvasse incommodé de cheminer avec la tête non plus qu'avec les pieds. Encore que j'eusse quelquefois les jambes vers le Ciel et les épaules contre terre, je me sentais dans cette posture aussi naturellement situé que si j'eusse eut les jambes contre terre et les épaules vers le Ciel. Sur quelque endroit de mon corps que je me plantasse, sur le ventre, sur le dos, sur un coude, sur une oreille, je m'y trouvais debout. Je connus par là que le Soleil est un Monde qui n'a point de centre, et que, comme j'étais bien loin hors de la sphère active du nôtre et de tous ceux que j'avais rencontrés, il était, par conséquent, impossible que je pesasse encore, puisque la pesanteur n'est qu'une attraction du centre dans la sphère de son activité.<br />
Le respect avec lequel j'imprimais de mes pas cette lumineuse campagne suspendit pour un temps l'’ardeur dont je pétillais d'avancer mon voyage. Je me sentais tout honteux de marcher sur le jour. Mon corps même, étonné, se voulant appuyer de mes yeux, et cette terre transparente qu'ils pénétraient ne les pouvant soutenir, mon instinct, malgré moi devenu maître de ma pensée, l'entraînait au plus creux d'une lumière sans fond.<br />
…………………………………………………………………………………………………<br />
Je me couchai sur le sable, fort assoupi. C'était une rase campagne tellement découverte que ma vue, de sa plus longue portée, n'y rencontrait pas seulement un buisson; et cependant, à mon réveil, je me trouvai sous un Arbre, en comparaison de qui les plus hauts cèdres ne paraîtraient que de l'herbe. Son tronc était d’or massif, ses rameaux d'argent, et ses feuilles d'émeraudes qui, dessus l’éclatante verdure de leur précieuse superficie, se représentaient comme dans un miroir les images du fruit qui pendait alentour. Mais jugez si le fruit devait rien aux feuilles ! L’écarlate enflammée d'un gros escarboucle composait la moitié de chacun, et l'autre était en suspens si elle tenait sa matière d'une chrysolite ou d'un morceau d’ambre doré; les fleur épanouies étaient des roses de diamant fort larges, et les boutons de grosses perles en poire.<br />
Un Rossignol, que son plumage uni rendait beau par excellence, perché tout au coupeau*, semblait avec sa mélodie vouloir contraindre les yeux de confesser aux oreilles qu'il n'était pas indigne du trône où il était assis.<br />
Je restai longtemps interdit à la vue de ce riche spectacle et je ne pouvais m'assouvir de le regarder. Mais, comme j'occupais toute ma pensée à contempler entre les autre fruits une pomme de grenade extraordinairement belle, dont la chair était un essaim de plusieurs gros rubis en masse, j'aperçus remuer cette petite couronne qui lui tient lieu de tête, laquelle s’allongea autant qu'il le fallait pour former un cou. Je vis ensuite bouillonner au-dessus je ne sais quoi de blanc qui, à force de s'épaissir, de croître, l'avancer et de reculer la matière en certains endroits, parut enfin le visage d’un petit buste de chair. Ce petit buste se terminait en rond vers la ceinture, c'est-à-dire qu'il gardait encore par en bas sa figure de pomme. Il s’étendit<br />
pourtant peu à peu, et sa queue s'étant convertie en deux jambes, chacune de ses jambes se partagea en cinq orteils. Humanisée que fut la Grenade, elle se détacha de sa tige; et, d'une légère culbute, tomba justement à mes pieds. Certes, je l'avoue, quand j'aperçus marcher fièrement devant moi cette pomme raisonnable, ce petit bout de Nain, pas plus grand que le pouce, et cependant assez fort pour se créer lui-même, je demeurai saisi de vénération. « Animal humain, me dit-il (en cette langue matrice dont je vous ai autrefois discouru), après t'avoir longtemps considéré du haut de la branche où je pendais, j'ai cru lire dans ton visage que tu n'étais pas originaire de ce Monde; c'est à cause de cela que je suis descendu, pour en être éclairci au vrai. » Quand j'eus satisfait sa curiosité à propos de toutes les matières dont il me questionna**… « Mais vous, lui dis-je, découvrez-moi qui vous êtes? Car ce que je viens de voir est si fort étonnant que je désespère d'en connaître jamais la cause, si vous ne me l’apprenez. Quoi ! un grand arbre tout de pur or dont les feuilles sont d'émeraudes, les fleurs de diamants, les boutons de perles et, parmi tout cela, des fruits qui se font hommes en un clin d’œil ! Pour moi, j'avoue que la compréhension d'un tel miracle surpasse ma capacité. » En suite de cette exclamation, comme j'attendais sa réponse : « Vous ne trouverez pas mauvais, me dit-il, étant le Roi de tout le Peuple qui compose cet arbre, que je l'appelle pour me suivre. » Quand il eut ainsi parlé, je pris garde qu'il se recueillit en lui-même. Je ne sais si, bandant les ressorts intérieurs de sa volonté, il excita hors de soi quelque mouvement qui fit arriver ce que vous allez entendre; mais tant il y a, qu'aussitôt après, tous les fruits, toutes les fleurs, toutes les branches, enfin tout l'arbre tomba par pièces en petits hommes, voyant, sentant et marchant, lesquels, comme pour célébrer le jour de leur naissance au moment de leur naissance même, se mirent à danser alentour de moi.<br />
Trois grands Fleuves arrosent les campagnes brillantes de ce monde embrasé. Le premier et le plus large se nomme la Mémoire ; le second, plus étroit, mais plus creux, l'Imagination; le troisième, plus petit que les autres, s'appelle Jugement.<br />
Sur les rives de la Mémoire, on entend jour et nuit un ramage importun de geais, de perroquets, de pies, d'étourneaux, de linottes, de pinsons et de toutes les espèces qui gazouillent ce qu’elles ont appris. La nuit, ils ne disent mot, car ils sont pour lors occupés à s’abreuver de la vapeur épaisse qu'exhalent ces lieux aquatiques. Mais leur estomac cacochyme la digère si mal, qu'au matin, quand ils pensent l'avoir convertie en leur substance, on la voit tomber de leur bec aussi pure qu'elle était dans la rivière. L'eau de ce Fleuve paraît gluante et roule avec beaucoup de bruit; les échos qui se forment dans ses cavernes répètent la parole jusqu'à plus de mille fois ; elle engendre de certains monstres, dont le visage approche du visage de femme. Il s’y en voit d'autres plus furieux qui ont la tête cornue et carrée et à peu près semblable à celle de nos pédants. Ceux-là ne s'occupent qu'à crier et ne disent pourtant que ce qu'ils se sont entendu dire les uns aux autres.<br />
Le Fleuve de l'Imagination coule plus doucement; sa liqueur, légère et brillante, étincelle de tous côtés. Il semble, à regarder cette eau d’un torrent de bluettes humides, qu'elles n'observent en voltigeant aucun ordre certain. Après l'avoir considérée plus attentivement, je pris garde que l'humeur qu’elle roulait dans sa couche était de pur or potable, et son écume de l'huile de talc. Le poisson qu'elle nourrit, ce sont des remores***, des sirènes et des salamandres; on y trouve, au lieu de gravier, de ces cailloux dont parle Pline, avec lesquels on devient pesant, quand on les touche par l'envers, et léger, quand on se les applique par l'endroit. J'y en remarquai de ces autres encore, dont Gigès avait un anneau, qui rendent invisibles; mais surtout un grand nombre de pierres philosophales éclatent parmi son sable. Il y avait sur les rivages force arbres fruitiers, principalement de ceux que trouva Mahomet en Paradis; les branches fourmillaient de phénix, et j'y remarquai des sauvageons de ce fruitier où la Discorde cueillit la pomme qu'elle jeta aux pieds des trois Déesses : on avait enté dessus des greffes du jardin des Hespérides. Chacun de ces deux larges Fleuves se divise en une infinité de bras qui s’entrelacent ; et j'observai que, quand un grand ruisseau de la Mémoire en approchait un plus petit de l'Imagination, il éteignait aussitôt celui-là; mais qu'au contraire si le ruisseau de l'Imagination était plus vaste, il tarissait celui de la Mémoire. Or, comme ces trois Fleuves, soit dans leur canal, soit dans leurs bras, coulent toujours à côté l'un de l'autre, partout où la Mémoire est forte, l'Imagination diminue ; et celle-ci grossit, à mesure que l'autre s'abaisse.<br />
Proche de là coule d’une lenteur incroyable la Rivière du Jugement; son canal est profond, son humeur semble froide ; et, lorsqu'on en répand sur quelque chose, elle sèche, au lieu de mouiller. Il croît, parmi la vase de son lit, des Plantes d’ellébore dont la racine, qui s'étend en longs filaments, nettoie l’eau de sa bouche. Elle nourrit des serpents, et, dessus l'herbe molle qui tapisse ses rivages, un million d'éléphants se reposent. Elle se distribue, comme ses deux germaines, en une infinité de petits rameaux; elle grossit en coulant; et, quoiqu'elle gagne toujours pays, elle va et revient éternellement sur elle-même.<br />
De l'humeur de ces trois Rivières, tout le Soleil est arrosé ; elle sert à détremper les atomes brûlants de ceux qui meurent dans ce grand Monde.<br />
…………………………………………………………………………………………………</p>
<p style="text-align: justify;"><br />
* Faîte, sommet. Ce vieux mot, que Cyrano affectionne, vient du latin cupa, parce qu'une colline à la forme d'une coupe renversée, Coupole s'est substitué à coupeau.</p>
<p style="text-align: justify;">** IL y a ici une lacune qui résulte de la suppression d'un passage dangereux où l'auteur se montrait sans doute un peu trop esprit fort et philosophe.</p>
<p style="text-align: justify;">*** La fable leur attribuait jadis le pouvoir d'arrêter les navires.</p>
<p class="box180">Savinien de Cyrano de Bergerac (1620-1655)</p>Mac Orlanurn:md5:c3978f758de84420e4b52b639aa9796e2024-03-17T08:14:00+01:002024-03-17T08:14:59+01:00domcorrierasJean-Claude Pirotte<h4>Jean-Claude Pirotte</h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/PIROTTE.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.PIROTTE_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>les lumières apprivoisées<br />
ont défiguré les fées</p>
<p>le hasard inestimable<br />
titube d'un bar à l'autre<br />
et s'écroule sous la table<br />
avant de mourir à l'aube</p>
<p>et de renaître à minuit<br />
pour les marlous et les filles</p>
<p>zouaves turcos bohémiens<br />
nous portons dans nos besaces<br />
le poids de nos vies de chiens<br />
nul gaffe ne nous fait grâce</p>
<p><em>ova micheto, moré ?<br />
michetto pelo moré</em></p>
<p> </p>
<p class="box180">Jean-Claude Pirotte / La boîte à musique / veilleurs</p>
<p class="box180"> </p>Hier mon père avait la grippeurn:md5:1369e15c9deb95c79b16cb8e56aa68ce2024-03-16T08:03:00+01:002024-03-16T08:03:35+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsChristian Bobin<h4><em>Christian Bobin</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p style="text-align: justify;"><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/Bobin2.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.Bobin2_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"> Hier mon père avait la grippe. Elle ajoutait à sa faiblesse. Pour le déplacer de sa chambre à la salle du rez-de-chaussée, il a fallu le mettre sur un fauteuil roulant. Puis la vie désormais habituelle a repris : le sourire de ma mère. Les gaufrettes et le yaourt au cassis. Le café brûlant servi dans un gobelet en plastique La conversation avec d'autres familles présentes. Mon père ce jour-là a encore moins parlé que d'habitude. Il comptait et recomptait les boutons de son gilet. Cette activité semblait ne devoir jamais le lasser. Il ne sait presque plus lire. Il a déserté la lecture comme beaucoup d'autres choses. Cet après-midi il ne savait plus que compter les boutons de son gilet, sentir leur épaisseur entre ses doigts, lentement. Il n'y avait dans ce geste qu'un trésor de patience et de fièvre. À la même heure, dans le monde, des millions d'hommes devaient s'épuiser dans toutes sortes de gestes. Aucun, j'en suis sûr, n'accomplissait un geste aussi rayonnant de calme que celui-ci : compter et recompter les boutons d'un gilet comme on fait rouler les grains d'un chapelet entre ses doigts, doucement et en ne pensant à rien.</p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p class="box180">Christian Bobin / La présence pure (extrait)</p>Qu'il est dur d'aimer ce qu'on aimeurn:md5:b3fdd004d0e6ed377b6391036cae74bf2024-03-15T07:20:00+01:002024-03-15T07:21:01+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsGeorges Perros<h4><em>Georges Perros</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/11-27-Papiers-colles-scaled.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.11-27-Papiers-colles-scaled_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>Qu'il est dur d'aimer ce qu'on aime<br />
et de s'y tenir arc-bouté<br />
sur notre faiblesse la même<br />
que celle qui nous fait tomber<br />
soit de haine d'indifférence<br />
Qu'il est dur de s'aimer un peu<br />
pour ne pas faire injure aux autres<br />
quand ils disent vous estimer<br />
Sans folle réciprocité<br />
ne quitterait-on père et mère<br />
femmes enfants pour suivre… mais quoi<br />
oui qui nous semble en l'occurence<br />
capable d'un tel lâchez-tout<br />
sinon soi-même quand on tremble<br />
d'avoir retrouvé ceux-là<br />
qui vivent sous nos dépendances<br />
sans déceler nos défaillances<br />
sans en soupçonner la rigueur<br />
Homme et femme ensemble je pense<br />
Voilà le grand malentendu<br />
le piège majeur la souffrance<br />
pour rien et que vient le péché<br />
faire dans cette mascarade<br />
Il est le moindre il est l'été<br />
d'un hiver qui n'en finit pas<br />
féroce en sa simplicité<br />
Nous nous demandons de quoi vivre<br />
sans en pouvoir payer l'écot<br />
nous trompant l'un l'autre Je dis<br />
que c'est toujours tromper soi-même<br />
On ne s'en remet qu'à demi<br />
La chair aiguillonne l'esprit<br />
qui s'en retourne en ses cavernes<br />
ah quel bel avenir vraiment<br />
ont tous les hommes derrière eux.</p>
<p class="box180">Georges Perros / Une vie ordinaire<br />
Illustration : Papiers collés de Georges Perros</p>BARBARA PATTERSON, DANS LA CUISINE DE SA MAISONurn:md5:cf041e72dd38a59f3bbd335b0d8990802024-03-14T07:28:00+01:002024-03-14T07:28:23+01:00domcorrierasProses & autres textesRoberto Bolaño<h4><em>Roberto Bolaño</em></h4> <p> </p>
<p style="text-align: justify;"><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/whatsapp-image-2023-04-26-at-11-03-57-am_42248399_20230426112935.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.whatsapp-image-2023-04-26-at-11-03-57-am_42248399_20230426112935_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;">BARBARA PATTERSON, DANS LA CUISINE DE SA MAISON, JACKSON STREET, SAN DIEGO, CALIFORNIE, MARS 1981. Dennis Hopper ? Politique ? Fils de pute ! Morceau de merde collée aux poils du cul ! Qu’est-ce qu’il en sait de la politique, ce crétin. C’était moi qui lui disais : mets-toi à la politique, Rafael, consacre-toi aux nobles causes, <em>carajo</em>, tu es un putain de fils du peuple ! et le crétin me regardait comme si j'étais une merde, un détritus, il me regardait depuis une hauteur imaginaire et répondait : ce n’est pas aussi facile que de faire des pâtes à l’eau, Barbarita, ne t’emballe pas, et puis il se mettait à dormir et moi je devais aller au travail et ensuite suivre les cours, bref, j'étais occupée toute la journée, je suis occupée toute la journée, à gauche et à droite, de l’université au boulot (je suis serveuse dans un fast-food sur Reston Avenue), et quand je revenais à la maison je trouvais Rafael en train de dormir, les assiettes dégueulasses, le sol dégueulasse, des restes de repas dans la cuisine (mais rien de prêt à manger pour moi, le salaud), la maison, une porcherie, comme si une horde de mandrills était passée par là, et alors il fallait que je me mette à nettoyer, à balayer, à cuisiner, et ensuite il fallait que je sorte et que je remplisse le réfrigérateur de provisions, et quand Rafael se réveillait je lui demandais : tu as écrit, Rafael ? tu as commencé à écrire ton roman sur la vie des Chicanos de San Diego ? Rafael me regardait comme s’il me voyait à la télé et disait : j’ai écrit un poème, Barbarita, et moi alors, résignée, je lui disais allez, espèce de crétin, lis-le-moi, et Rafael ouvrait deux canettes de bière, m’en donnait une (il sait bien, ce taré, que je devrais pas boire de bière) et ensuite il me lisait son putain de poème. Et ce doit être parce que dans le fond je continue à l’aimer que le poème (seulement quand il était bon) me faisait pleurer, presque sans que je m’en rende compte, et quand Rafael arrêtait de lire, j'avais le visage trempé et luisant alors lui s’approchait de moi et je pouvais sentir son odeur, il sentait le Mexicain, le salaud, et on s’enlaçait, très doucement, ensuite, mais au bout d’une demi-heure, on commençait à faire l’amour, et ensuite Rafael me disait : qu'est-ce qu’on va manger, ma petite caille dodue ? et moi je me levais, sans m’habiller j'allais dans la cuisine et je lui faisais ses œufs au jambon et au bacon, et pendant que je cuisinais, je pensais à la littérature et à la politique et je me souvenais du temps où Rafael et moi on vivait encore au Mexique et qu’on était allés voir un poète cubain, allons le voir, Rafael, lui ai-je dit, tu es un fils du peuple et ce pédé, qu’il le veuille ou pas, il devra reconnaître ton talent, et Rafael m'a dit : mais c’est que je suis viscerréaliste, Barbarita, et moi je lui ai dit ne sois pas con, tes couilles sont réal-viscéralistes, mais est-ce que tu ne veux pas te rendre compte de la putain de réalité, mon amour ? et Rafael et moi on est allés voir le grand chantre de la révolution et tous les poètes mexicains que Rafael détestait le plus (ou plus exactement que Belano et Lima détestaient le plus) étaient passés par là, ç’a été bizarre parce que tous les deux nous l’avons perçu par l’odeur, la chambre de l’hôtel du Cubain sentait les poètes paysans, les types de la revue <em>El Delfin Proletario</em>, la femme de Huerta, les staliniens mexicains, les révolutionnaires de merde qui tous les quinze jours encaissaient les deniers du Trésor public, bon, me suis-je dit à moi-même, et ai-je tenté de dire télépathiquement à Rafael, ne fous pas tout par terre maintenant, pas d’erreur maintenant, le fils de La Havane nous a bien accueillis, un peu fatigué, un peu mélancolique, mais en gros bien, et Rafael a parlé de jeune poésie mexicaine mais pas des réal-viscéralistes (avant d’entrer je lui avais dit que je le tuerais s’il le faisait) et j'ai même inventé, comme ça, un projet de revue qui, ai-je dit, allait être financée par l’université de San Diego, ma putain de revue chimérique l’a intéressé, les poèmes de Rafael l’ont intéressé, et tout à coup, l’entrevue tirait sur sa fin, le Cubain, qui à ce moment-là paraissait plus endormi qu’éveillé, nous a questionnés à l’improviste sur le réalisme viscéral. Je ne sais pas comment expliquer ça. La chambre dans le putain d'hôtel. Le silence et les ascenseurs lointains. L’odeur des visites précédentes. Les yeux du Cubain qui se fermaient à force de sommeil ou d’ennui ou d’alcool. Ses paroles inattendues, comme prononcées par un homme hypnotisé, mesmérisé, tout a contribué à ce que je pousse un petit cri, un petit cri qui cependant a retenti comme un coup de feu. Ce devait être les nerfs, c’est ce que je leur ai dit. Ensuite nous sommes tous les trois restés silencieux pendant un moment, le Cubain sûrement en train de se demander qui pouvait être cette gringa hystérique, Rafael en train de se demander s’il allait parler ou ne pas parler du groupe, et moi me disant et me redisant pute de merde, quand est-ce que tu vas coudre tes putains de lèvres. Et alors pendant que je me voyais moi-même enfermée dans le placard de la maison, la bouche transformée en une croûte immense, lisant et relisant les nouvelles du <em>Llano en flammes</em>, j'ai entendu Rafael parler des réal-viscéralistes, j’ai entendu le pédé cubain poser et reposer des questions, j’ai entendu que Rafael disait que oui, que peut-être, que la maladie infantile du communisme j'ai entendu que le Cubain suggérait des manifestes, des proclamations, des refondations, une plus grande clarté idéologique, alors je n’ai pas pu en supporter davantage et j’ai ouvert la bouche et j’ai dit que tout ça était fini que Rafael ne parlait qu’à titre personnel, comme le bon poète qu’il était, Rafael m’a dit tais-toi Barbara, et mot je lui ai dit toi tu me fais pas taire, crétin, et le Cubain a dit ah les femmes, et a essayé de s’interposer avec sa merde de macho aux couilles pourries et puantes et j’ai dit merde, merde, merde on veut seulement publier dans la Casa de las Américas à titre personnel, le Cubain m’a regardée alors l’air très sérieux et a dit qu’évidemment, dans la Casa de las Américas, on publiait <em>toujours</em> à titre personnel, tant mieux pour eux, ai-je dit, Rafael a dit ferme-la, Barbarita, sinon le maître va penser des choses qui ne sont pas vraies, j’ai dit que le putain de maître pouvait penser ce qu’il voulait, mais le passé est le passé, Rafael, et ton futur est ton futur, non ? alors le Cubain m'a regardée l’air plus sérieux que jamais avec des yeux qui semblaient dire si on était à Moscou tu finirais en asile psychiatrique, ma petite, mais en même temps, ça aussi je l’ai perçu, comme s’il pensait, il ne faut pas en faire non plus un drame, la folie est la folie est la folie et la mélancolie aussi et dans le fond de la question tous les trois nous sommes américains, des enfants de Caliban, perdus dans le grand chaos américain, et ça je crois que ça m’a attendrie, voir dans le regard de l’homme puissant une étincelle de sympathie, une étincelle de tolérance, comme s’il disait ne t’en fais pas, Barbara, je sais bien comment sont ces choses-là, et alors, quelle idiote je fais, j'ai souri, Rafael a sorti ses poèmes, une cinquantaine de feuilles, il a dit ce sont mes poèmes, camarade, le Cubain a pris les poèmes, l’a remercié et tout de suite lui et Rafael se sont levés, comme au ralenti, comme un éclair, un éclair double ou un éclair et son ombre, mais au ralenti, et pendant cette fraction de seconde j’ai pensé tout est bien, pourvu que tout soit bien, je me suis vue en train de me baigner sur une plage de La Havane et j'ai vu Rafael à côté de moi, à environ trois mètres, en train de parler avec des journalistes nord-américains, des types de New York, de San Francisco, en train de parler de LITTÉRATURE, en train de parler de POLITIQUE, et aux portes du paradis.</p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p class="box180">Roberto Bolaño / Les détectives sauvages (extrait)</p>Ô Saint Pancrasurn:md5:1aa1343bf73086a35107ee23b51c1ba82024-03-13T07:44:00+01:002024-03-13T07:44:12+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsJacques Roubaud<h4><em>Jacques Roubaud</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/ROUBAUJ.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.ROUBAUJ_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>La gare de Saint-Pancrace a tout de la cathédrale<br />
Gaspillage de monumentalité pour quoi ? ces<br />
Quatre quais ? ce pub ? L'ignominie du café<br />
Si on le compare à sa voisine y est maximale<br />
Pourtant tu l'aimes, en attendant qu'on ovre la British<br />
Library (la nouvelle) j'y viens dix minutes<br />
M'asseoir. on ne saurait la dire Gothic<br />
Perpendicular, je le regrette et sans doute<br />
Luytens n'aurait pas levé telle concoction<br />
De briques dans sa NewDelhi utopique<br />
Le paysage européen ferroviaire compte<br />
De plus souveraines gares : Dresde, Liepzig<br />
Et pourtant saint-pancrassienne gare quand viendra<br />
Te troubler la modernité-tgv ce sera</p>
<p> triste</p>
<p> </p>
<p class="box180">Jacques Roubaud / Churchill 40 et autres sonnets de voyage - 2000-2003</p>À quoi bonurn:md5:8b9f931c7d9eb76d7dc1229a155daffc2024-03-12T07:42:00+01:002024-03-12T07:43:04+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsJan Baetens<h4><em>Jan Baetens</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/7649a8d7-0699-45b9-a93f-7048177d5dfe.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.7649a8d7-0699-45b9-a93f-7048177d5dfe_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>Les poètes qui énumèrent<br />
Qui font leur numéro<br />
Qui comptent avant de commencer<br />
Qui s’y mettent sans compter<br />
Qui se trompent de chiffre<br />
Qui utilisent une clé qui songe<br />
Qui ont déjà oublié le début<br />
Qui n’ont pas le culot d’aller jusqu’au bout<br />
Qui sont décidés à ne plus s'arrêter<br />
Qui prennent le train en marche, ne sachant d’où partir<br />
Qui s’enquiquinent<br />
Qui réduisent à quia sans eux-mêmes y croire<br />
Qui cachent leur jeu<br />
Qui regardent aussi à côté<br />
Qui font cela dans le noir<br />
Qui cherchent la sortie<br />
Qui se lèvent la nuit pour énumérer<br />
Qui se font réveiller exprès<br />
Qui continuent à table<br />
Qui parlent la bouche pleine<br />
Qui s'interrogent<br />
Qui ont des jours avec et des jours sans<br />
Qui prennent le temps de mettre un pas de côté<br />
Qui ralentissent ou accélèrent sans raison apparente<br />
Qui pratiquent l’énumération sur le mode du striptease<br />
Qui ne sont jamais à court de variations<br />
Qui savent éviter la minutie dans l’énumération<br />
Qui suppriment l’article devant le nom<br />
Qui effacent plus qu’ils n’ajoutent<br />
Qui s’arrêtent pour continuer après<br />
Qui s'arrêtent tout court<br />
Qui font une pause pour écrire un livre sur le mot «etc. »<br />
Qui &&&<br />
Qui aiment partir d’ici pour aller vers là<br />
Qui le font en temps réel<br />
Qui énumèrent une seule chose<br />
Qui ne savent pas quel sujet choisir<br />
Qui passent à la ligne ou non cela fait deux<br />
Qui énumèrent au milieu d’une énumération<br />
Qui mélangent les systèmes<br />
Qui procèdent au second degré<br />
Qui organisent des concours d’énumération<br />
Qui arrivent à le faire sans casser d’œufs<br />
Qui le font après mais pas d’après<br />
Qui le font depuis<br />
Qui font toujours leur rentrée<br />
Qui comptent mais sur le lecteur<br />
Qui modestement savent qu’ils ne comptent pas<br />
Qui fournissent aux collectionneurs<br />
Qui travaillent sur commande<br />
Qui imitent les catalogues<br />
Qui mettent à l’index<br />
Qui savent la différence entre énumération et liste<br />
Qui accumulent sans énumérer et vice versa<br />
Qui discutent des écarts entre termes et concepts<br />
Qui dégustent les items hors-catégorie<br />
Qui s’accommodent des restes<br />
Qui mettent en perspective<br />
Qui adorent la ruine et l’imbroglio<br />
Qui attendent que passe la voiture-balai<br />
Qui énumèrent parce qu’ils aiment les virgules de série<br />
Qui se méfient de leur propre système<br />
Qui confondent ordre et désordre<br />
Qui sont heureux de ne pas faire ce qu'ils font<br />
Qui cochent les cases<br />
Qui en restent là<br />
Qui savent jusqu'où aller beaucoup trop loin<br />
Qui prolongent pour cause de succès<br />
Qui n’ont pas besoin d’autorisation<br />
Qui prennent une pause<br />
Qui croisent les bras<br />
Qui feuilletonnent<br />
Qui changent de règle en cours de route<br />
Qui ne savent pas dire adieu<br />
Qui ne savent que faire d’un hapax<br />
Qui perdent le fil<br />
Qui donnent du fil à retordre<br />
Qui énumèrent en spirale<br />
Qui s’enfoncent à force de foncer<br />
Qui prennent le chemin des écoliers<br />
Qui raffolent des faux départs<br />
Qui entre temps pensent à autre chose<br />
Qui énumèrent intransitivement<br />
Qui le font sur deux colonnes<br />
Qui savent s’y prendre à l'envers<br />
Qui passent au tableau pour faire une conférence<br />
Qui multiplient, additionnent, divisent et soustraient<br />
Qui se répètent volontiers<br />
Qui se répètent volontiers<br />
Qui se perdent sans moyen mnémotechnique<br />
Qui ne l’apprendront jamais<br />
Qui ont pour nom de famille Optionnel ou Connexe<br />
Qui énumèrent de deux à trois l'après-midi<br />
Qui ne veulent jamais s’y mettre tout seuls<br />
Qui font appel à un notaire<br />
Qui le font gratis<br />
Qui le feront demain<br />
Qui le font par pari<br />
Qui énumèrent ce qu’on leur demande d’énumérer<br />
Qui ne pensent qu’à ça<br />
Qui n’osent pas<br />
Qui arrivent à simuler une énumération<br />
Qui pensent que la chose reste toujours les choses<br />
Qui ont des tiroirs et vont jusqu’au fond<br />
Qui sont toujours prêts à laisser tomber<br />
Qui font cela enfin pour gagner<br />
Gagner encore un instant</p>
<p> </p>
<p class="box180">Jan Baetens / Après, Depuis</p>Nous avions tous deux le même âgeurn:md5:a11fe93965e8d23cfbae4c9da15ef1c82024-03-11T07:18:00+01:002024-03-11T07:25:41+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsGeorges Perros<h4><em>Georges Perros</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/MjAyMDA3NTQzMDMxMDQ3N2QwNzU1YjMxYTM0ZDE2OTBjODBjOTA.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.MjAyMDA3NTQzMDMxMDQ3N2QwNzU1YjMxYTM0ZDE2OTBjODBjOTA_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>Nous avions tous deux le même âge<br />
seize ou dix-sept ans ne sais plus<br />
et notre amour dura trois ans<br />
Nous couchions ensemble souvent<br />
rue des Acacias la cousine<br />
de ma belle toujours absente<br />
y avait un appartement<br />
Nous en profitions nous tenant<br />
l'un sur l'autre nus sans rien faire<br />
attendant que l'ange trépasse<br />
qui nous regardait en riant<br />
Mais j'avais peur de la brusquer<br />
Le jour où par pure méprise<br />
je la pénétrai plus avant<br />
elle se rendit compte à peine<br />
de mon geste C'était vexant<br />
Nous faisions beaucoup de projets<br />
Mes parents la trouvaient mignonne<br />
elle l'était certes Depuis<br />
elle s'est trouvé un mari<br />
plus entreprenant je l'espère<br />
Je lui lisais du Valery<br />
Peut-être que je l'ennuyais<br />
avec mes poètes C'est vrai<br />
tout le monde n'en est pas fou<br />
Jusqu'au Père Sertillanges<br />
que je lui faisais écouter<br />
rue d'Assas C'est très loin tout ça<br />
Maintenant je sais mieux garder<br />
secret de mes amours mentaux<br />
quoique sentis excusez-moi.</p>
<p class="box180">Georges Perros / Une vie ordiaire</p>Les grands micocouliers pleurèrenturn:md5:610186f87ff6a9e7dcdf74580af591e52024-03-10T07:56:00+01:002024-03-10T07:57:03+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsFrédéric Mistral<h4><em>Frédéric Mistral</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<h3 style="text-align: center;"><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/imago0096088040s.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.imago0096088040s_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></h3>
<p> </p>
<h3 style="text-align: center;"> </h3>
<h3 style="text-align: center;">L'assemblée</h3>
<p><br />
Les grands micocouliers pleurèrent ;<br />
Affligés, s'enfermèrent<br />
Dans leurs ruches les abeilles, oubliant le pacage<br />
Plein de tithymales et de sarriettes.<br />
« Avez-vous point vu où est Mireille ? »<br />
Demandaient les nymphéas<br />
Aux gentils alcyons bleus adonnés au vivier.</p>
<p> Le vieux Ramon et son épouse,<br />
Tous deux gonflés de larmes,<br />
Ensemble, la mort au cœur, assis dans le <em>mas</em>,<br />
Mûrissent leur douleur : « Certes,<br />
Il faut avoir l'âme en délire !…<br />
O malheureuse ! ô écervelée !<br />
De la folle jeunesse, ô terrible et lourde chute !</p>
<p> Notre Mireille belle, ô équipée<br />
O pleurs ! avec le dernier des truands<br />
S'est enlevée, enlevée avec un bohème !…<br />
Qui nous dira, dévergondée,<br />
Le lieu, la caverne reculée<br />
Où le larron t'a conduite ?…<br />
Et ils branlaient leurs fronts orageux.</p>
<p> Avec l'ânesse et les mannes de sparterie<br />
Vint l'échanson, selon l'usage ;<br />
Et, debout sur le seuil : « Bonjour ! Je venais quérir,<br />
Maître, les œufs et le <em>grand-boire</em>.<br />
— Retourne-toi, malédiction !<br />
Cria le vieillard, car, tel qu'un chêne-liège,<br />
Sans elle, ores il me semble qu'on m'a arraché l'écorce !</p>
<p>… / …</p>
<p style="text-align: center;"><br />
…………………..</p>
<h3 style="text-align: center;"><em>L'assemblado</em></h3>
<p><br />
<em> Li grand falabreguié plourèron ;<br />
Adoulentido, s'embarrèron<br />
Dins si brusc lis abiho, óublidant lou pasquié<br />
Plen de lachusclo e de sadrèio.<br />
« Avès rèn vist mouille es Mirèio ? »<br />
Ié demandavon li ninfèio,<br />
I gèntis amo bluio adounado au pesquié.</em></p>
<p><em>Lou vièi Ramoun emé sa femo,<br />
Tóuti dous gounfle de lagremo,<br />
Ensèn, la mort au cot, asseta dins lu mas,<br />
Amadouron soun coudoun : « Certo,<br />
Fau agué l'amo escalaberto !…<br />
O malurouso ! o disaverto !<br />
De la folo jouinesso o terrible estramas !</em></p>
<p><em> Nostro Mirèio bello, o gafo !<br />
O plour ! mé lou darrié di piafo<br />
S'es rauado, rauado em' unn abóu miani !…<br />
Quau nous dira, desbardanado<br />
Ounte lou laire t'a menado ?… »<br />
E brandavon ensèn si front achavani.</em></p>
<p><em> Emé la saumo e lis ensàrri<br />
Venguè lou chourlo, à l'ourdinàri ;<br />
E dre sus lou lindau : « Bon-jour ! Veniéu verca,<br />
Mestre, lis e lou grand-béure.<br />
— Entourno-te, maladiciéure !<br />
Cridè lou vièi, que, tau qu'un siéure,<br />
Me sèmblo que sènso elo aro sièu desrusca !</em></p>
<p><br />
<em>… / …</em></p>
<p> </p>
<p class="box180">Frédéric Mistral / Mireille Mirèio (Chant Neuvième, extrait)</p>Hannetonurn:md5:34a9c91113b38c2ab4348cdec760ce5b2024-03-09T07:27:00+01:002024-03-09T07:27:31+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsGuillevic<h4><em>Eugène Guillevic</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/128892728.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.128892728_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>Ce n'est plus<br />
Qu'un schéma d'insecte, une épluchure du corps<br />
Qui travaillait le chêne.</p>
<p>Ce corps, un jour s'est arrêté de bouger ;<br />
Le vent, la pluie<br />
Ont emporté dans le vrombissement du champ<br />
Les débris de son ventre ouvert.</p>
<p>Sur l'herbe jaune au pied du chêne,<br />
Reste une carcasse diaphane<br />
Que la rosée pourra emplir.<br />
— Pourquoi ressusciter ?<br />
Va, tout se fait sans toi et le froment mûrit :<br />
Un couple s'est aimé au pied de l'arbre,<br />
On voit dans l'herbe la forme de la femme<br />
Et la marque des pieds de l'homme.</p>
<p>Au sommet de l'été, il ne restera rien<br />
À quoi te reconnaître.</p>
<p> </p>
<p class="box180">Eugène Guillevic / Poèmes</p>BIENHEUREUX DÉSIRurn:md5:6591b6b074c6b6661cb86d6ac357dbf42024-03-08T07:58:00+01:002024-03-08T07:58:08+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsGoethe<h4><em>Goethe</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/Goethe-statue.png"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.Goethe-statue_m.png" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p> Ne le dites à personne, sinon au sage,<br />
Car la foule est prompte à railler :<br />
Je veux louer le Vivant<br />
Qui aspire à la mort dans la flamme.</p>
<p> Dans la fraîcheur des nuits d'amour<br />
Où tu reçus la vie, où tu la donnas,<br />
Te saisit un sentiment étrange<br />
Quand luit le flambeau silencieux.</p>
<p> Tu ne restes plus enfermé<br />
Dans l'ombre ténébreuse<br />
Et un désir nouveau t'entraîne<br />
Vers un plus haut hyménée.</p>
<p> Nulle distance ne te rebute,<br />
Tu accours en volant, fasciné,<br />
Et enfin, amant de la lumière,<br />
Te voilà, ô papillon, consumé.</p>
<p> Et tant que tu n'as pas compris<br />
Ce : Meurs et deviens !<br />
Tu n'es qu'un hôte obscur<br />
Sur la terre ténébreuse.</p>
<p style="text-align: center;">☆</p>
<p> Un roseau sort bien de terre<br />
Pour emplir de douceur le monde !<br />
Puisse du roseau qui trace mes vers<br />
Couler un flot de douceur.</p>
<p class="box180">Goethe / Le Divan<br />
traduction d'Henri Lichtenberger</p>DE QUEL BOIS JE ME CHAUFFEurn:md5:859b01bc59abec82db8c73c8d4f1bfbb2024-03-07T07:54:00+01:002024-03-07T07:54:17+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsRené Guy Cadou<h4><em>René Guy Cadou</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2023/2932-une-Rene-Guy-Cadou.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2023/.2932-une-Rene-Guy-Cadou_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>Quand il n'y aura plus que toi et moi<br />
Tu m'entends<br />
Quand il n'y aura plus que toi et moi<br />
Dans cette chambre<br />
Et que même les murs auront déménagé<br />
Moi seul dans la colère de mes membres<br />
Et toi debout comme une épée<br />
Quand le ciel posera son museau de soie fraîche<br />
Sur la vitre lointaine et sur mes horizons<br />
Quand rien ne restera dans l'air que quelques bulles<br />
Tièdes et blanches comme une gorge de pigeon<br />
Quand je pourrai enfin m'asseoir à cette table<br />
Et croire que je suis installé sous les pins<br />
Dans la scierie du vent près de la mer étale<br />
Serrant mon cœur comme un coquillage marin<br />
Quand basculé dans les cordages de la lyre<br />
J'entonnerai ce chant d'orgueil dont chaque cri<br />
Éveillera sur l'eau les meneurs de navire<br />
Quand l'âme s'un seul coup fera sauter l'esprit<br />
Tu sortiras de cette chambre.</p>
<p style="text-align: center;">✱</p>
<p>Visages de la terre dont je sais le poids<br />
De suie de cire et de feuilles séchées<br />
L'envie me prend de vous saisir moi taciturne<br />
De vous aimer profondément comme on se lie<br />
À la bête perdue au fond d'une rue triste<br />
Qui vous suit sans jamais oser vous dépasser<br />
La pomme et le couteau qui dorment sur la table<br />
Sans qu'il y ait la moindre équivoque entre eux deux<br />
Se prolongent plus loin que les couchants d'usine<br />
Dans le regard d'un homme habitué à sa faim<br />
Ma mémoire est pavée de ces belles faïences<br />
Qu'on trouve dans les fermes noires où se lit<br />
Le temps de s'épouser dans des violettes doubles<br />
Et des coqs maladroits dessinés à la main<br />
Seuls vous m'épouvantez visages de la terre<br />
Comme un ciel de juillet et comme une eau trop claire<br />
Vous me sortez de mes épaules vous avez<br />
De ces rudes façons d'auberge qui me plaisent<br />
Et c'est toute ma vie que vous me rappelez.</p>
<p class="box180">René Guy Cadou / Les visages de solitude (1944-1946) (extrait)</p>Où va-t-elle, la petite bêteurn:md5:7736c9d495b07de5dcb1d51f1b1868512024-03-06T07:35:00+01:002024-03-06T07:52:38+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsAlexandra Shahrezaie<h4><em>Alexandra Shahrezaie</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/331752778_738981197675840_5767424500036235-MODIF.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.331752778_738981197675840_5767424500036235-MODIF_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>Où va-t- elle, la petite bête<br />
Finir son voyage dérapé<br />
Dans son paysage qui confond<br />
La vie à la vie<br />
La vie à l'éternité<br />
L'éternité à l'instant<br />
Des joies à des proverbes<br />
Et des scènes de crime ordinaire<br />
A des centimes d'euro<br />
Aime't-elle les cotes de porc a la moutarde?<br />
N'a t elle pas des yeux trop cernés<br />
D'avoir tant dormi pour rien?</p>
<p>Où va-t-elle, la petite bête<br />
De son allure toute exténuée<br />
S'évanouir sans bruit<br />
Au cœur des choses<br />
Qui en ont un<br />
A battre<br />
A abattre la petite bête<br />
(Faut bien que ça sert à quelque chose<br />
Quand c'est trop serré)<br />
C'est là que je veux vivre<br />
Moi<br />
Qui ne croit ni en enfer ni au paradis<br />
Mais en cet endroit possible<br />
Où finit<br />
La petite bête inachevée<br />
Sans jamais finir vraiment<br />
Quoi que ce soit</p>
<p>L'infinie petite bête<br />
L'infini voyage<br />
L'infini adresse</p>
<p class="box180">Alexandra Shahrezaie</p>On m'effleure la mainurn:md5:3bb9087917956ac5333b12e2a613c0d52024-03-05T07:50:00+01:002024-03-05T07:50:22+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsDominique Sampiero<h4><em>Dominique Sampiero</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p style="text-align: justify;"><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/B9712680857Z.1_20170722173655_000_GPC9G0VBN.2-0.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.B9712680857Z.1_20170722173655_000_GPC9G0VBN.2-0_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p style="text-align: justify;"> </p>
<p style="text-align: justify;"><em> On m'effleure la main en restant près de moi — je recule un peu devant la page. Je lui parle.<br />
« Je connais ton corps, es-tu l'étreinte, la fuite légère, la fleur cachée sous la voix, le cœur ou la main de l'air ? Es-tu la solitude, la douleur, la poussière qui veut aller seule ? N'es-tu que silence dans cet ennui de toi-même qui ne se représente qu'une clarté à venir ? Le refuge ?<br />
Tu ne réponds pas. Tu es une enfant. Ta pupille me porte hors du voyage où nous périssons. »<br />
Rien n'émerge hors la matière blanche, pondérée, qui emprisonne l'œil, la peau, le sourcil. Je baisse les lèvres vers la parole. Y lève aussitôt un chant aigu, parfait, dont je réussis à reconnaître le centre, l'âme : on clame, on hurle, on récite, on miaule, on brame une géométrie de mots assemblés, de phonèmes apaisés dont il ne semble pas manquer un souffle.<br />
Cette nudité est froide, l'être s'échappe pour délivrer un espace qui ne dit rien, qui est l'espace où le livre meurt.</em></p>
<p class="box180">Dominique Sampiero / La vie pauvre - poèmes</p>FINALEMENTurn:md5:97c0fbf7d545ce1c412b20e8e829b3472024-03-04T07:58:00+01:002024-03-04T07:58:21+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsGeorges Perros<h4><em>Georges Perros</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/16378254.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.16378254_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>Je parle de choses vécues<br />
par moi bien sûr par vous peut-être<br />
aussi mais vous n'aurez pas cru<br />
devoir les mettre à la fenêtre<br />
afin qu'elles sèchent au gré<br />
comme le linge bien lavé<br />
de toute malpropreté<br />
de nos subjectivités rances<br />
qui s'envoleront<br />
Gré du vent<br />
mais il faut le provoquer<br />
il arrive alors sans rien dire<br />
et nous déshabille en sifflant<br />
Plus rien que la peau et les os<br />
pour te poursuivre aventurière<br />
ô notre vie belle guerrière<br />
ô Penthésilée ma farouche<br />
baiserai-je jamais ta bouche<br />
toi pour laquelle je ne suis<br />
qu'un corps difficile à traîner<br />
<em>Vale Vale et me ama</em><br />
on m'oubliera vite et ce que<br />
j'écris par un beau soir d'automne<br />
près de mon chien qui mord ses puces<br />
pour qu'elles perdent dans son sang<br />
la sotte envie d'en faire autant<br />
J'entends mes enfants et ma femme<br />
qui somnolent Le mur de la nuit<br />
enregistre ce que j'écris<br />
Les petits bébés du néant<br />
s'en pourlècheront les babouines.</p>
<p style="text-align: right;"><br />
<em>Septembre-octobre 1964.</em></p>
<p> </p>
<p class="box180">Georges Perros / Une vie ordinaire</p>1er Coupurn:md5:c93c33d941453801a7fab39bf93c9c3f2024-03-03T08:30:00+01:002024-03-03T08:30:52+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsAnnie Le Brun<h4><em>Annie Le Brun</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/Annie-Le-Brun-Rajak-Ohanian.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.Annie-Le-Brun-Rajak-Ohanian_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>Magistral<br />
Farci de canard au sang<br />
Et de pommes sures<br />
La croupe borgne de la voûte céleste<br />
Pavée d'accumulations héroïques<br />
La grande obscurité de l'or<br />
Et la limaille des brasiers<br />
Des embouchures de drap lie-de-vin<br />
Distribuent<br />
Le froid<br />
À tort et à travers<br />
Le filtre des moissons<br />
Impossible d'en sortir<br />
Les mues damasquinées<br />
Et l'ingéniosité endémique<br />
Veillent<br />
La hure des torches<br />
Écarquille<br />
La brume<br />
Les chemins<br />
Fomentent<br />
La nuit<br />
En haut du mât de cocagne<br />
L'écrasante vessie solaire</p>
<p> </p>
<p class="box180">Annie Le Brun / Ombre pour ombre<br />
Photo : Annie Le Brun par Rajak-Ohanian</p>COMPLAINTE DES NOSTALGIES PRÉHISTORIQUESurn:md5:5e5026afe52bc36042ca477950733b042024-03-02T08:18:00+01:002024-03-02T08:22:45+01:00domcorrierasPoèmes & chansonsJules Laforgue<h4><em>Jules Laforgue</em></h4>
<hr /> <p> </p>
<p><a class="media-link" href="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/jules-laforgue-2.jpg"><img alt="" class="media" src="https://domcorrieras.fr/dotclear/public/Illustrations/2024/.jules-laforgue-2_m.jpg" style="margin: 0 auto; display: table;" /></a></p>
<p> </p>
<p> </p>
<p>La nuit brune sur les villes,<br />
Mal repu des gains machinals,<br />
On dîne ; et, gonflé d'idéal,<br />
Chacun sirote son idylle,<br />
Ou furtive, ou facile.</p>
<p>Échos des grands soirs primitifs !<br />
Couchants aux flambantes usines,<br />
Rude paix des sols en gésine,<br />
Cri jailli là-bas d'un massif,<br />
Violuptés à vif !</p>
<p>Dégringolant une vallée,<br />
Heurter, dans des coquelicots,<br />
Une enfant bestiale et brûlée<br />
Qui suce, en blaguant les échos,<br />
De juteux abricots.</p>
<p>Livrer aux langueurs des soirées<br />
Sa toison où du cristal luit,<br />
Pourlécher ses lèvres sucrées,<br />
Nous barbouiller le corps de fruits,<br />
Et lutter comme essui !</p>
<p>Un moment, béer, sans rien dire,<br />
Inquiets d'une étoile là-haut ;<br />
Puis, sans but, bien gentils satyres,<br />
Nous prendre aux premiers sanglots<br />
Fraternels des crapauds.</p>
<p>Et, nous délivrant de l'extase,<br />
Oh ! devant la lune en son plein,<br />
Là-bas, comme un bloc de topaze,<br />
Fous, nous renverser sur les reins,<br />
Riants, battant des mains !</p>
<p>La nuit bruine sur les villes :<br />
Se raser le masque, s'orner<br />
D'un frac deuil, avec art dîner,<br />
Puis, parmi des vierges débiles,<br />
Prendre un air imbécile.</p>
<p> </p>
<p class="box180">Jules Laforgue / Les Complaintes<br />
Illustration : Frontispice dessiné par P.-E. Vibert de Jules Laforgue (1860-1887) :<br />
sa vie, son œuvre par François Ruchon (1924)</p>